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Les Fragmentés

 
  Shusterman, Neal
Edition : Le Masque, Collection : MsK 2008, 446 pages ISBN : 978-2-7024-3391-1 13,50
 

Connor, Risa et Lev sont trois adolescents condamnés à la fragmentation pour des raisons très diverses. Connor doit être fragmenté à la demande de ses parents car ils jugent son indiscipline ingérable. Risa, elle, est pupille de la nation et elle ne possède pas de talent exploitable pour mériter de continuer à vivre sous sa forme actuelle. Quant à Lev, c'est un décimé, cela signifie que sa famille est croyante au point de sacrifier un dixième de ses possessions à Dieu et Lev se trouve être le dixième rejeton. Ces trois personnages vont se croiser lors de la fuite de Connor puisque ce dernier refuse d'attendre les bras ballants que les Frags viennent le chercher pour l'emmener au centre de collecte le plus proche. Il provoque l'accident de bus qui permettra à Risa de s'échapper et il prend Lev en otage pour couvrir ses arrières et assurer sa sécurité. Dès lors, chacun des protagonistes devra s'interroger et découvrir sa voie dans ce monde.

Ce roman a pour toile de fond un pays déchiré par la terrible guerre qu'il vient d'endurer. Il a accouché dans la douleur et un peu par hasard, de la Charte de la Vie, afin de trouver un consensus satisfaisant pour les deux parties en opposition. Ce texte interdit l'interruption de grossesse, et visiblement la contraception, ne laissant aux parents la possibilité de mettre un terme à la vie de leur progéniture qu'entre treize et dix-huit ans, âge de la majorité. On ne doit cependant pas l'interrompre de n'importe quelle manière, il faut avoir recours à la fragmentation ; c'est-à-dire qu'on ne tue pas son enfant, seulement qu'on donne tout ce qui constitue son corps (ses membres, ses organes) à plusieurs receveurs. En contrepartie toute personne a le droit de refuser son enfant et peut l'abandonner sur le perron d'une famille quelconque. Si la fautive n'est pas prise en flagrant délit, celui qui trouve le bébé sur le pas de sa porte est obligé de le garder et de l'élever comme le sien. On voit immédiatement les limites d'un tel système ainsi que toutes les questions morales et éthiques que peut poser un tel mode de pensée poussé à l'extrême. Cela entraîne invariablement l'acceptation du fait qu'un foetus dès sa conception possède une âme, cette vérité lui permet donc d'accéder automatiquement au rang de personne. Cette Charte force également à réfléchir à l'avenir qui peut attendre un individu éparpillé dans plusieurs corps, sachant qu'il a encore conscience de lui-même mais qu'il n'a plus d'intégrité physique. Il ne possède plus d'existence propre sous sa véritable identité. C'est ce qui se produit pour CyFi qui a reçu une greffe au cerveau et qui, depuis, a du mal à garder le contrôle de ses agissements. Le débat sur la vie à tout prix est long, ardu et complexe ; ce roman met en exergue les excès d'une telle décision et expose différents points de vue, sans parti pris, permettant ainsi aux lecteurs de méditer sur cette interrogation ô combien épineuse ! Par ailleurs ce livre souligne le problème plus que d'actualité de la pénurie des organes disponibles pour le don. Une telle politique résout en partie cette difficulté majeure au détriment néanmoins d'une certaine morale. Effectivement, cette mise en place donne l'impression de légaliser un trafic florissant en développant l'aspect commercial et en jouant sur l'économie de marché ; c'est-à-dire en fragmentant plus rapidement certains adolescents en fonction de l'offre et de la demande.

Á un autre niveau, chirurgical celui-là, cela ferme la porte aux interventions et aux tentatives de soins du corps puisque les opérations de réparations sont remplacées par le changement pur et simple de l'organe endommagé ou défectueux. Un roman singulier donc, vécu la plupart du temps aux côtés d'adolescents en révolte contre un système de recyclage extrême à l'image des Claqueurs, cette organisation qui n'a d'autre but que la semence volontaire du chaos au sein de ce régime lisse et consensuel. Les adultes sont souvent réduits à leur fonction, histoire de mettre en évidence leur instrumentalisation ou leur rôle de simple pion.

Ecrite par Sig, le 23 Juin 2008 à 19:06 dans la rubrique Roman Sf .
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