Le Complexe de Médée et autres contes fantastiques
		Delbe, Alain Edition : Nestiveqnen, Collection : Fantastique 2004, 318 pages ISBN : 2-910899-89-6 17,70 €

Si vous appréciez les recueils de nouvelles pour leur éclectisme, si vous aimez être surpris et découvrir comment un même auteur est capable de raconter des histoires différentes les unes des autres tout en gardant un même style, lisez donc Le Complexe de Médée et autres contes fantastiques. Alain Delbe est un auteur français comme on les aime, capable de construire des climats cohérents en quelques pages et d'amener son lecteur à rire, trembler ou rêver selon Son bon plaisir. Servies par une plume efficace, chacune de ces petites histoires a son charme.

Des guêpes attirées par la confiture, un nostalgique du tango, une balade le long du littoral, un mari trop jaloux, les récits sont souvent construits sur des scènes de la vie quotidienne. Et ce n'en est que plus délectable. Car on se prend au jeu de deviner de quoi il s'agit et quand Cela va surgir...

Médée, dans la mythologie grecque, est la fille du roi Aiétès. C'est elle qui aide Jason à s'emparer de la fameuse toison d'or. De retour à Argos, on raconte que Jason la répudia. Par violence, celle-ci tua ses propres enfants, avant de s'enfuir sur un char tiré par deux dragons. Mais quel rapport avec l'histoire me direz-vous ? Aucun, en apparence: Un jeune couple et son enfant font une sortie à la campagne. Ils rient, ils s'amusent. Ils se disputent aussi. Bref, c'est une famille comme toutes les autres. Et pourtant, vous savez que ce que vous décrit le narrateur recèle une ombre indéfinie, menaçante, persistante. Elle s'est déjà glissée entre les personnages, donne à leurs paroles et à leurs gestes une luminosité malsaine. Et vous attendez déjà le drame. Un drame qui va se concrétiser par des envies meurtrières croissantes qui vont assaillir Catherine, dès leur retour à la maison. Cette mère, qui aime son enfant plus que tout au monde, cette mère est possédée. Elle entend des voix dans sa tête, qui lui demande de tuer son enfant, pour Lui faire plaisir (le titre n'est donc pas innocent, il renvoie à Médée, la femme-sorcière, celle qui égorgea ses enfants pour se venger des infidélités de Jason).

Tout est dit. Une histoire terrifiante (mais est-ce le bon mot ?), un récit psychologique diablement bien construit qui s'écoule avec sa durée propre, lente, imperceptible, mais inéluctable. On s'attache à la petite famille, on rentre dans leur quotidien. On espère que ça va s'arranger. Oui, l'espoir... Mais que pourraient-ils faire, alors que déjà, ils ne sont plus maîtres de leur propre pensée?

"Il vous empêche de voir, d'entendre, ce qui est là pourtant devant vous. A la place, Il met ce qu'Il veut. Ainsi, vous croyez lire un texte mais c'est un autre que vous lisez sans vous en rendre compte, seulement celui qu'Il veut que vous lisiez. Il s'empare de vos sens comme de votre volonté..."

Sans doute Alain Delbe est-il grand marionnettiste et, en vérité, il tirera les ficelles de vos sentiments à son gré. A se demander si les malheurs des Wilfart ne se sont pas répandus à l'extérieur du livre, si vos yeux n'ont pas été imprégnés, si ce que vous lisez est bien ce qui est écrit. (Oui, c'est un paradoxe de faire une chronique sur ce genre d'histoire). A ce moment-là vous aurez peut-être, comme moi, l'impression d'être le complice involontaire (?) du drame qui vous est conté.

A lire donc, pour ceux qui n'ont pas peur aux yeux.