Le saut de l'ange
		Fyfield, Frances Edition : Presses de la Cité, Collection : Sang d'encre 2006, 276 pages ISBN : 2-258-06723-5 19,50 €

Alors qu'il est assis sur une falaise, Richard Beaumont voit tomber une jeune femme, dont le corps ira lourdement s'écraser sur les rochers en contrebas. Encore sous le choc, ce retraité, amateur de peinture n'a alors qu'un seul réflexe : reproduire ce modèle immobile, complètement offert à ses coups de crayon. Son travail achevé, il remonte le long de la falaise et croise une personne qui le frappe violemment au visage. Il sera retrouvé par la police, totalement désorienté et incapable de se rappeler les événements pourtant consignés sur son esquisse. Il est, évidemment, considéré comme le principal suspect de ce meurtre. Par ailleurs, il n'existe aucun moyen d'identifier la victime, puisque personne ne possède d'indices pouvant faciliter sa reconnaissance.

Ce livre on ne peut plus psychologique et bavard met en scène Sarah Fortune, une prostituée ou femme de transition comme elle aime à se considérer. Sarah est le personnage principal de ce roman car elle en est le pivot, l'axe central autour duquel tout vient tourner. Elle génère un mouvement de rassemblement, elle rayonne, elle attire. Elle est aussi le lien entre tous les protagonistes car elle est la seule à entrer en contact avec tous les acteurs de ce mystérieux assassinat. Steven Fortune, son frère est un monte-en-l'air qui vit uniquement pour et à travers, ce qu'il nomme le " flash " ou sensation éprouvée devant une uvre. Richard Beaumont, récemment retraité, s'est découvert une véritable passion pour la peinture. Il est pris d'une véritable frénésie créatrice ce que ne comprend absolument pas sa jeune épouse. Il est aussi sujet aux pertes de mémoire. Lilian Beaumont, sa femme, est une créature sublime qui n'est sensible qu'à ce qui est joli et harmonieux. Enfin, il y a John Armstrong un médecin qui travaille en collaboration avec la police et qui va être amené à côtoyer cette affaire ainsi que les principaux protagonistes, surtout Richard avec qui il va nouer une véritable amitié. Au milieu de cette foisonnante galerie de figures atypiques, il ne faut pas oublier Edwin, sorte d'excentrique qui vit comme s'il était le gardien des falaises, chargé de la protection de la faune locale contre les agressions humaines ainsi que Fritz le mystérieux portier de l'immeuble dans lequel loge Sarah et les époux Beaumont.

Ce roman propose deux histoires en parallèle, construction qui structure le livre. Cela est vrai pour les lieux et les acteurs de ce drame urbain. Il en va des humains comme des peintures et c'est en dressant un portrait à l'aide de différentes touches que l'identité du tueur et de la victime vont se dessiner. Un roman surprenant qui plonge au fond des choses, qu'elles soient des hommes ou bien des tableaux. À l'instar des personnages, chaque peinture est contemplée, observée, analysée bien que sous différents angles, c'est-à-dire en fonction du regardant, de son histoire, de ses connaissances voire de ses sensations.

La trame habituelle de tout polar qui se respecte brille ici par son absence. Ce sont les personnages qui mènent cette enquête et non la police. Les indices affluent par recoupements, de manière transversale ; ils se mettent en place en fonction des longues discussions qu'entretiennent les héros entre eux. Il en va ainsi de l'identité de la victime, qui est découverte de manière fortuite, simplement parce qu'elle gravitait dans l'espace restreint des personnages. Pour mener à bien cette enquête, il est nécessaire d'effectuer une analyse profonde et précise des façons de parler, de penser et de se comporter de chacun d'entre eux. Ils sont à géométrie variable sur le plan de la morale, pas manichéen pour deux sous. Ils se contentent d'être simplement humains et cela suffit amplement à les rendre complexes.

Ce livre dégage une atmosphère particulière. L'environnement semble familier, certainement parce que l'histoire se déroule dans une sorte de vase clos, circonscrit à un immeuble d'habitation plutôt bourgeois renfermant toute sorte de locataires ou propriétaires qui n'ont finalement que très peu de points communs et qui, sans cette affaire, ne se seraient jamais réellement côtoyés. L'autre lieu d'action sont les falaises plutôt sauvages et indomptées, très différentes du monde douillet de cet immeuble cossu. Cela provoque un choc entre l'aspect violent des falaises où un meurtre a été commis au grand jour, en pleine lumière et l'atmosphère feutrée de cet immeuble où les crimes sont dissimulés, à peine perceptibles par le biais d'un cri ou d'un bruit de temps à autre. Il s'agit d'une plongée dans l'intimité des êtres. Leur moi, leurs comportements, sont décortiqués, analysés. Une sorte d'introspection des personnages et des uvres picturales.

Surprenant et intéressant.