La Proie de l'Aube
		Sandford, John Edition : Belfond, Collection : Nuits Noires 2006, 384 pages ISBN : 2-7144-4180-7 19,50 €

Deux corps sont retrouvés pendus à un arbre à Broderick, petit village du Minnesota. Ils appartiennent respectivement à Jane Warr, une femme blanche, et à Deon Cash, un homme noir. Dans ce genre de bourgade cela signifie habituellement un lynchage en bon et due forme. Cependant, Lucas Davenport et son coéquipier Del Capslock ne sont pas du tout de cet avis et sont bien décidés à ne pas laisser se répandre ce genre de rumeur. Lors de leur premiers interrogatoires, ils se retrouvent face à Letty West, qui a découvert les cadavres se balançant lentement au bout de leur corde. Ils ne savent pas encore qu'elle va devenir leur plus précieux informateur grâce à son caractère bien trempé et sa langue bien pendue. Cependant lorsque la fréquence des meurtres augmente brusquement et lorsque Letty est prise pour cible, Lucas et Del se disent que décidément, ras le bol des trous paumés.

Ce polar de John Sandford met en scène un personnage récurrent, Lucas Davenport, aujourd'hui marié et père de famille. Il travaille maintenant au service du gouverneur. À contrario de la plupart des personnages de policiers existants dans la littérature il ne se plaint pas de ses fins de mois et de son salaire de misère car il possède un portefeuille bien garni. De plus il fait partie de cette espèce en voie de disparition faisant fantasmer une bonne moitié de la population féminine ; à savoir un mâle hétérosexuel qui aime la poésie, adore le shopping et qui est capable de fondre sous le regard d'une gamine dont le sort n'a rien d'enviable. Son épouse, Weather, est chirurgien, séduisante comme il se doit et possède une inflexibilité à toute épreuve accompagnée d'un caractère digne de ce nom. Son acolyte, Del Capslock, semble être sa parfaite antithèse, tant au niveau vestimentaire que physique. Il est marié à une infirmière prénommée Cheryl. Il y a aussi Letty West, jeune adolescente de douze ans, dont la mère est alcoolique et qui a pris son indépendance bien trop rapidement pour une enfant de son âge. Elle apparaît comme une farce que la nature aurait voulu faire à Lucas en opérant une parfaite synthèse entre lui, car elle possède son regard, et son épouse, dont elle présente, indéniablement, le tempérament caractéristique.

Ce roman policier est un livre violent à tout point de vue. Il raconte une escalade de la sauvagerie dans un hameau en apparence sans histoire. On assiste à un véritable dérapage, une surenchère comme si le meurtre devenait la seule solution au problème posé par l'existence et les connaissances de certaines personnes. Les relations filiales, à l'instar du rapport mère/fille qu'entretiennent Letty et sa mère, ou bien les relations entre Margery et son fils sont également teintées d'agressivité, tout comme la réalité d'un monde sans pitié. Cet état de fait se traduit par un rythme très rapide qui a tendance à aller crescendo, transparaît par le biais d'un langage cru, le tout enrobé dans une bonne dose de cynisme et d'humour noir très pince sans rire.

Le roman possède une construction très intéressante qui consiste en la mise en miroir de deux points de vue parallèles. En effet, le lecteur vit successivement la scène par le regard de la victime puis par celui de son agresseur. Il s'agit d'une exploration en profondeur de la psychologie complexe des protagonistes car l'auteur met en lumière les rouages, le mode de fonctionnement et de réflexion qui va aboutir à l'acte lui-même. En ce qui concerne le meurtrier, par exemple, il met à jour ses pensées puis son angoisse et enfin l'engrenage irréversible dans lequel il se trouve piégé et qui va le pousser à commettre l'irréparable. Cependant, la plus grande qualité de ce livre reste de ne pas être manichéen. Il se veut le reflet d'une réalité, d'une tranche de vie. Il se lit comme un coup de projecteur sur une situation donnée à un instant T. Excellent polar à découvrir.