Le Château du Lac Tchou-An - Les Nouvelles Aventures du Juge Ti
		Lenormand, Frédéric Edition : Points, Collection : Policier 2006, 224 pages ISBN : 2-7578-0048-5 6,50 €

Le vénérable juge Ti se doit de rejoindre son nouveau lieu d'affectation au plus tôt. Obligé de rallier Pou-Yang par la voie des eaux, il est surpris par le mauvais temps et la crue subite du fleuve. Il se voit donc contraint de s'arrêter dans une auberge. Le lendemain de cette étape forcée, un cadavre est découvert flottant aux portes de cet établissement. Le juge, interprétant l'envoi de cette énigme comme un signe de la providence, prend alors la décision de rester jusqu'à sa résolution. Son enquête et son besoin de confort vont le mener tout droit au château de Tchou-An où il va se trouver confronter à ses étranges habitants.

Le juge Ti Jen-Tsie, vénérable magistrat au service impérial, est un homme dans la force de l'âge, solidement bâti et l'heureux mari de trois épouses légitimes et père de six enfants. Il est assez à cheval sur les principes comme le respect dû à son rang. Il est aussi pétri d'orgueil concernant sa réputation et ses capacités et vit assez mal les humiliations en tous genres. C'est un fin lettré, intelligent et doué d'un véritable sens de la déduction qui constitue le socle de sa renommée. Dans cette enquête, il est accompagné du Sergent Hong Liang dont il est le maître et qui, malgré son dévouement et sa loyauté, se laisse parfois aller à vouer le juge aux gémonies.

Ce polar se lit d'une traite grâce à l'effet combiné de son style élégant, de l'attrait de son personnage et d'une dérision assez désopilante. Le juge Ti manie un humour caustique, un cynisme vis-à-vis de l'espèce humaine, des méthodes que les hommes emploient pour parvenir à leurs fins ainsi que des murs de son temps qui est décapant. Rien n'échappe à son il exercé, aiguisé et tout en ne commettant aucun manquement à la politesse ou à l'étiquette, ses pensées insolentes et irrespectueuses ne laissent planer aucun doute quant à ses convictions. Par ailleurs le mauvais traitement infligé à Lao-Tseu qui sert tour à tour de somnifère ou bien d'arme afin d'assommer un agresseur est tout simplement rafraîchissant. Il est un poil rétrograde et conservateur, notamment quand il expose son point de vue, sévère, sur l'adultère ce qui est un comble pour un regard occidental étant donné qu'il possède trois épouses, légitimes il est vrai. Il est aussi jouissif de se moquer de son attitude quand il est surpris en flagrant délit de mensonge dans le seul but de protéger son orgueil malmené. Des perles telle que celle relevée à la page 167 jalonnent ce roman : " Tous les hommes n'avaient pas la chance d'être stupides et faibles, là résidait leur malheur. "

Il y a un bon maintien du suspens, les indices sont distillés au compte-gouttes au fil des chapitres, tout comme les rebondissements et les différents meurtres et cela permet au lecteur d'effectuer sa propre enquête aux côtés de Ti. Ce polar n'est pas une course contre la montre, l'action alterne avec les passages plus poétiques comme la description d'une orchidée ou d'un lotus ou bien encore une séance de réflexion mettant en exergue le mode de fonctionnement des rouages du cerveau du magistrat. Enfin la nourriture ainsi que le confort de l'estomac et du tube digestif de cet auguste personnage tiennent une place prépondérante dans cette histoire. En effet, dans ce volume, le vénérable juge se plaint à maintes reprises de la piètre cuisine qui est pratiquée dans cette demeure et constate qu'elle est, en soi, une punition voire une torture.

Un polar très agréable à lire dont l'écriture est aussi raffinée que son personnage. Tout est ciselé et précis. Un vrai bonheur.