Réservoir (Au fil du nil - Tome 16)
		Collectif Edition : ESI, Collection : Image 2006, 152 pages 10 €

La BD française est souffrante. Trop de temps passé à tourner avec le fond du réservoir. La nouvelle génération d'auteurs a-t-elle les moyens de remédier à cet état de crise ? Saura-t-elle faire le plein de super, inventer son propre carburant ? Intitulé Réservoir, le seizième numéro d'Au fil du nil, compilation sélective des travaux réalisés par les élèves de troisième année de l'ESI, l'école de la BD d'Angoulême, prétend refaire le plein d'essence. Légitime prétention ou gros coup d'esbrouffe ?

Le corpus présente près de vingt cinq auteurs, pour un total de plus de cent planches dessinées. L'ouvrage comprend aussi des compte-rendus de voyages d'études réalisés au Danemark, en Chine et au Viêt-Nam. La matière est donc là, et l'on est en droit d'espérer une vraie diversité. Les compte-rendus sont fort intéressants, et les planches qui y sont présentées sont parmi les plus originales de ce numéro 16. Quant aux créations réalisées sur le territoire français, il faut malheureusement constater que celles-ci présentent une trop grande uniformité. Plusieurs travaux méritent cependant l'attention, et c'est pourquoi je vous invite à acquérir ce numéro, si tant est que vous soyez curieux de découvrir les talents de demain. Rapide survol des trois auteurs qui ont le plus retenu mon attention.

On la remarque tout de suite grâce aux couleurs qu'elle emploie. Des tons pastels, des couleurs chaudes, souvent tropicales. Un sacré contraste, par rapport aux gris et marrons sales qui semblent être à la mode. Autre agréable surprise, le style graphique, du naïf travaillé à l'ordinateur et nettement influencé par l'iconographie post-moderne. Une cuisine bleu pastel et "saumons" ; une distribution de tee-shirts hawaiens en banlieue ; un chat prêt à bondir sur une chèvre : Mylène Rigaudie compose de saisissants portraits , entre humour enfantin et critique désabusée. Une vraie touche de fraîcheur que ces planches passées en fraude, disséminées avec impertinence dans le Corpus.

Sébastien Chrisostome mérite lui aussi un coup de projecteur. Malgré une certaine appréhension devant un style graphique "certifié Association", force est de reconnaître l'efficacité de son humour. Ce "Little Red Riding Hood" est une parodie irrévérencieuse de ce qu'on peut trouver de pire dans les manuels d'écriture, genre "publiez votre road-movie en trois jours", dans un esprit tantôt Tex Avery, tantôt blagues scatos.

Enfin, un mot sur le travail exceptionnel de Guillaume Rouxel. C'est sans doute l'un des travaux les plus "pensés" du corpus, aussi bien dans l'usage de l'espace que des codes graphiques choisis. Celui-ci a judicieusement exploité l'iconographie religieuse, telle qu'on peut la trouver sur les fresques d'églises ou encore sur les couvertures d'incunables, pour la mettre au service d'un récit à multiples entrées. Parce que l'îconographie religieuse est une des sources de la bande dessinée, ces six planches peuvent s'interprêter comme un discours sur les possiblités narratives de la BD et sur son rapport avec le sacré. Mais il se laisse également lire comme une réflexion centrée autour de la différence entre le projet d'oeuvre et l'oeuvre réalisée. On pourrait tout autant y voir une représentation de la conflictualité qu'entretient la BD avec le roman. Mais ce ne sont que des pistes d"interprétation possibles, et l'objet se prête à bien d'autres lectures.

"Et parce qu'ils sont plusieurs, tu trouveras du bon et du moins bon". C'est la règle de tout collectif, et c'est donc cette maxime en tête que je me suis attelé à parcourir le bouquin. Autre critère : chercher la nouveauté, l'inédit, le singulier, vu que la bête se définit comme un compte-rendu de la vie artistique à l'ESI. Or, à parcourir ce numéro 16, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine impression de déjà-vu. Si bien qu'il faut dire exactement le contraire du personnage d'Isao Moutte (p. 48) : Bien loin d'être "trop rapide, trop furieux", tout cela n'est "pas assez rapide, pas assez furieux". L'influence de l'association sur la création BD a notamment été à double tranchant. A noter par ailleurs combien la faiblesse des scenarii joue bien souvent contre la grande technicité du dessin, manière de prouver une fois de plus qu'en BD, il ne suffit pas de faire des images pour "parler". Malgré cette conclusion sévère en apparence, je vous invite très fortement à vous procurer l'ouvrage, qui contient plusieurs petits bijoux qu'il serait dommage de manquer.