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L'été-machine

 
  Crowley, John
Edition : Les Moutons Electriques 2006, 224 pages ISBN : 2-915793-15-8 15
 

Pensée et littérature entretiennent un rapport essentiel, et c'est un indice significatif lorsqu'un récit se révèle posséder des propriétés didactiques si fortes que le lecteur puisse s'acheminer lui-même vers sa propre parole. L'adage est désormais bien connu, mais n'ayons pas peur de le reprendre à nouveau. Et ce n'est pas peu dire que de souligner combien le roman-poème L'été-machine assume avec grandeur cette tâche. Récit que l'on pourrait qualifier de post-cataclysmique, ou  rapprocher des romans d'Ursula le Guin, mais qui en vérité ne répond qu'à ses propres critères, L'été-machine est la somptueuse peinture d'un monde fraîchement éclos, où l'humanité, après avoir connu le chaos succédant à l'apogée, se réinvente une manière de vivre et de comprendre son existence.

Plus précisément, le narrateur (définir l'identité de celui-ci est d'ailleurs un défi à part entière) nous invite à suivre Roseau-Qui-Parle dans l'évocation de son chemin de vie, depuis le jour où il quitta son village, Petit-Belaire, jusqu'à celui où il fit la rencontre avec Mongolfier. Plus qu'un plaisir, c'est une expérience intime que de l'accompagner, car son voyage est aussi le nôtre, un voyage dans l'imaginaire, un voyage en nous-mêmes, un voyage sur un des territoires littéraires les mieux préservés.

Nous pourrions maintenant faire l'éloge des qualités profondes que possède ce roman. Il faudrait alors évoquer la matière de l'étoffe. Les personnages tout d'abord. Ils se nomment Rouge-Peinte, Dans-Un-Coin, Rien-qu'une-fois, Clignotin. Bien loin d'apparaître comme des pièces disjointes, puis assemblées au petit-bonheur, ils entretiennent des relations naturelles (quasi-sémantiques) les uns avec les autres. Certains sont unis comme le sont les différentes parties de la main. Certains sont semblables aux anneaux d'une chaîne, individués et pourtant soudés les uns aux autres. Chacun est porteur de sa vision du monde, et c'est déjà toute une lecture de pénétrer celle-ci de l'intérieur.
On pourrait également évoquer la beauté du monde mis en scène par Crowley. Sa dimension poétique, entre douceur et douleur. L'usage génial des objets de notre culture (le calendrier, les mots croisés, le base-ball), devenus pour les personnages occasions de méditer sur leur passé lointain ou employés comme outils pour réaliser des tâches pour lesquelles ils n'avaient pas été conçus à l'origine. Il y aurait également lieu de saluer la finesse psychologique du roman, capable de mettre en scène de la manière la plus subtile les affres du drame amoureux et la question de l'intersubjectivité (via la relation passion/haine entre Roseau-Qui-Parle et Rien-qu'une-fois). Mais l'essentiel est ailleurs, et réside dans cette question :

Sais-tu ce qu'est une histoire ?

Sais-tu ce qu'est une histoire ? nous demande secrètement John Crowley. Et une fois lue la sienne, nous n'osons plus répondre.

D'où vient ce soudain silence devant une question plutôt évidente ? Sans doute du sentiment d'avoir été lavé à grandes eaux et débarrassé d'un grand nombre de sédiments/sentiments, d'avoir regagné, grâce à Crowley, un sol plus simple et plus ferme. L'été-machine, parce qu'il a la forme d'un conte d'antan prononcé par une voix provenant du futur, met son lecteur en position d'écoute. "On" n'est plus simplement un oeil curieux, avide d'une histoire mémorable, ni un récepteur extérieur. "On" se retrouve immédiatement impliqué dans un rituel de la transmission, et cela sur le plan de la pensée, du langage et de l'héritage culturel. Roseau-Qui-Parle raconte l'histoire de sa vie, dans ce monde hanté par les icônes de notre présent. Son regard neuf fait apparaître l'étrangeté de notre quotidien en surbrillance. L'aspect dialogal du récit, visible dès les premières pages du roman, invite par ailleurs le lecteur à se questionner sur sa place. Est-il le questionné ou le questionnant ?

Lui force-t-on la main en choisissant "à sa place" les questions à poser à Roseau-Qui-Parle ? Ou bien est-il au contraire le seul vrai interrogateur du récit, au sens où lui seul a la possibilité d'aborder à chaque lecture une nouvelle approche, contrairement au personnage-questionnant, prisonnier lui aussi, en définitive, des règles de toute oeuvre écrite, mouche coulée dans du plastique et qui l'ignore, peut-être plus encore que Roseau-Qui-Parle ? Ou faut-il plutôt y voir une attaque focalisée sur l'acte de lecture, avec pour résultat final un "inversion-point", où pour penser à la Dick, le lecteur apprend soudainement à penser la finitude de son existence ?

L'été-machine est un souffle de renouveau, et cela doublement, aussi bien sur le plan du sujet (l'auteur questionne la possiiblité d'une coexistence de la remémoration et de la jeunesse) que sur celui de l'histoire des littératures de l'Imaginaire. Une publication à marquer d'une pierre blanche dans les annales de l'édition, rien de moins !

Ecrite par Bibirox, le 20 Mai 2006 à 11:05 dans la rubrique Roman Sf .
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Ecrit par Mureliane le 22 Mai 2006

Merci, bibirox, pour cette superbe chronique, qui donne une forte envie de lire ce livre !

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