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Chasse à courre |
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Boulouque, Clémence Edition : Gallimard, Collection : Blanche
2005, 237 pages
ISBN : 2-07-077509-7
15,68 € |
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Issu dun milieu modeste, Frédéric cherche à le fuir par sa réussite professionnelle. Brillant étudiant, il se lance dans la finance, fait les plus grandes écoles, obtient un poste de banquier, l'argent puis le pouvoir lorsqu'un cabinet de chasseur de tête le recrute. A lui de placer les futurs dirigeants des entreprises ; à lui de décider qui passe et qui ne passe pas. Mais derrière cette façade où tout n'est que réussite la vie de Frédéric est un échec constant à l'image de ses voyages aux quatre coins du monde où il n'est là que pour affaire, où il ne voit rien que les mêmes hôtels de luxes, les mêmes visages des mêmes personnes aux mêmes parcours racontant leurs mêmes anecdotes. Frédéric est vide, car il ne retire rien de ses expériences. Jamais il n'éprouve de sentiments, sauf lors de son voyage en Espagne lorsqu'il se remet en question dans le pays de son grand-père après le décès d'un de ses clients dont il se sent foncièrement responsable. Pas de sentimentalisme pour autant. Le businessman clame haut et fort que ce n'est pas par goût de la généalogie qu'il est là, pas pour retrouver comme tout le monde « ses racines » avec lesquelles il a, lui, soigneusement rompu. Il n'a pas plus la faiblesse de se culpabiliser longtemps de cette disparition. Ces atermoiements sont vites réutilisés, ramenés au seul registre professionnel. La faute, elle aussi, est canalisée : il faut faire payer un autre, plus responsable, seul responsable, l'éliminer. Ne pas laisser l'émotionnel sinstaller. « Eliminer un rival professionnel », voilà qui n'a rien de personnel. Tout passe après sa carrière et c'est en son nom qu'il a fait le vide dans son coeur. Les aventures d'un soir sont collectionnées, mais sans empirisme. Pas de souvenirs, pas d'évolution. Coucher pour faire comme si tout allait bien, tout était normal. Pour oublier Sonia, la seule femme qu'il a aimée, celle qui lui a fait découvrir son travail, celle qu'il a perdue pour son travail. Mais peu importe. Frédéric est jeune, il dévore la vie à pleine dent. Une vie qui n'a déjà plus de saveur, comme s'il avait déjà trop vécu. Une existence qui en fait l'a dévoré, à laquelle il a tout donné et qui lui a tout donné. Tout ou seulement l'argent se demande-t-il en regardant ses femmes vieillies qui ont perdu leurs jeunesses dans leur travail. Il se moque de celles et ceux qui ont essayé de concilier vie professionnelle et vie familiale vie tout court et qui ont échoué ou se sont trouvés des ersatz, des passions aussi distrayantes qu'inutiles afin d'occuper ce temps même infime qui leur reste de libre ; qui leur reste à vivre. Frédéric pense avoir tout le temps : à trente ans il est presque partenaire de la firme. Il a tout réussi et tout sacrifié pour cela. Mais quand Sonia revient le voilà prêt à tout rendre, du moins aimerait-il le croire. Il a appris à séduire les clients, à gagner coûte que coûte pour les autres et surtout pour lui. Il ne la ratera pas. Il sait trop bien comment faire pour manipuler, pour obtenir, pour réussir. Sonia n'est qu'une proie de plus qu'il lui faut pour être parfait. Lorsqu'il imagine leurs vies, leur existence ensemble, c'est ce qu'il dira d'elle, ce qu'il pourra en dire aux autres, à ceux qui ont échoué à concilier ces deux vies qui le fait rêver. Sonia est sa consécration. Les deux domaines semblent pourtant inconciliables à l'image de cette scène si banale et pourtant capitale lorsqu'il répond à son portable face à elle. Après avoir pressé le pas pour la retrouver, il est bloqué à quelques mètres, par ce coup de fil, par cette promotion. Si proche mais déjà si loin ; trop loin. Frédéric a choisi. Il a le temps. Il aura tout, plus tard, s'il en a l'envie ou s'il en a l'opportunité. Difficile de lâcher une histoire qui vous passionne, mais lorsque le style est aussi vif, sec, agressif et même coupant, il faut se faire violence pour y parvenir. C'est le cas du livre de Clémence Boulouque qui nous dévoile par une succession de scènes, sorte de clip vidéos agencés les uns après les autres la vie décousue de son anti-héros. Mimant à merveille la précipitation, la hâte, l'impatience de son personnage principal, de son monde, de sa carrière, de ses attentes, l'auteur nous livre une tranche de vie où l'action qui n'est faite que de rapports de force entre les personnes s'interdit tout épanchement, tout retard, tout repli. Les sentiments sont des luttes de pouvoir mortelles, aussi saisissantes que cet avis mortuaire qui ouvre le récit, le ponctue, y imprime sa présence fantomatique et surprenante avant de disparaître lorsque le mystère s'éclaircit. Une leçon de vie, de savoir-vivre qui ne dit pas son nom et qui mérite, aussi pour cela, d'être portée à l'attention du plus grand nombre.
Ecrite par , le 02 Mars 2006 à 14:03 dans la rubrique .
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