Les Argolides
		Farrachi, Armand Edition : Zulma 1998, 70 pages ISBN : 3-7054-00100226-8

L'histoire a beau se dérouler dans un lointain futur, l'humanité n'a pas encore trouvé la recette pour éviter ces petites erreurs tragiques qui font basculer une histoire a priori banale (un vaisseau se rend d'un point A à un point B) dans la tragédie pure ou du moins, soyons modeste, dans une aventure passionnante de 70 pages. Prenez par exemple ce vaisseau spatial (nommé Argo pour des raisons de commodités), piloté (mais c'est un grand mot à une époque où tout est automatisé) par les officiers Alpha, Bêta et Lambda (là aussi pour des raisons de conventions). Il se dirige d'un pas ferme et assuré (l'expression est d'usage, mais rassurez-vous, il n'avait pas de pattes, et encore moins de pieds) vers quelque destination. Et boum ! Un astéroïde (ne me demandez pas lequel, on ne le retrouvera jamais) vient le heurter. Il y a collision, oui messieurs dames. Dévié de sa trajectoire initiale, le vaisseau Argo se retrouve ainsi dirigé à pleine vitesse vers la constellation des Argolides, répertoriée « région hostile », interdite à la navigation. Ah, je sens déjà votre coeur qui palpite !

Et il y a de quoi, car la constellation des Argolides est connue pour héberger les âmes d'un peuple conquérant aux penchants belliqueux notoires. On prétend que quiconque la traverse risque la folie, pris d'assauts par les esprits qui hantent cette zone de l'espace. Comme dans toute nouvelle de science-fiction à gros budget, le suspens est insoutenable. Alpha, Bêta et Lambda parviendront-ils à sortir sain d'esprit, maîtres de leur conscience, de cette constellation mystérieuse ?

Cette histoire est un véritable CIRQUE ambulant d'idées farfelues et de pirouettes stylistiques, une ébullition (pour les multiples parenthèses) fantasque (pour le delirium psychique qui se joue dans les consciences de chaque personnage) au service d'une histoire finalement plus dramatique que n'en laisse présager ses atours. Les Argolides n'est en effet rien d'autre qu'une danse paranoïaque en huis clos, usant du matériau S-F pour mettre en scène un dispositif laborantin dans lequel le narrateur joue les apprentis sorciers avec les cervelles de ses protagonistes.

Le talent d'Armand Farrachi consiste en effet à glisser imperceptiblement, au fil du récit, de l'aparté introduit par le narrateur aux apartés produits par des personnages en pleine introspection. Tantôt commentaire off, amusant et distrayant, tantôt détour et circonvolution dans la trame d'un esprit (celui dAlpha, de Bêta ou de Lambda) se demandant s'il est devenu fou, s'il possède encore son propre moi ou si celui qui se pose la question est déjà un autre individu, cette petite nouvelle est un évènement sympathique dans le paysage des littératures de l'imaginaire.

Le livre est paru en 1998 chez Zulma, il risque d'être épuisé en librairie au moment où vous lirez ces lignes. Mais en cherchant bien, dans les librairies d'occaz ou en bibliothèque, vous devriez pouvoir mettre la main sur ce petit bijou qui vous prendra deux heures de votre temps précieux.