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Le pianiste déchainé |
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Vonnegut Jr, Kurt Edition : Folio SF
2010, 498 pages
ISBN : 978-2-07-039934-5
7,70 € |
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Lors de la troisième grande guerre, les machines ont su se rendre merveilleusement utiles pour remplacer les ouvriers partis au front. Trop utiles : aujourd'hui, elles font presque tout plus vite et avec moins d'erreurs, et les hommes ne travaillent plus, ou si peu. Quelques professions sont encore trop complexes pour être automatisées, mais pour combien de temps ? A Ilium, le fleuve qui traverse la ville délimite les territoires des citoyens ordinaires, qui tentent comme ils le peuvent d'occuper leurs journées, et la zone des machines, des ingénieurs et des administrateurs. Paul Proteus est l'un des cadres de l'usine, petit homme écrasé par la figure de son père, l'inventeur du nouvel "American way of life", le promoteur enthousiaste du tout-machine. Un brillant avenir lui est promis, s'il suit sagement les traces de son géniteur, s'il avance avec le progrès, s'il méchanise toujours plus. Seulement, Paul n'est pas heureux ; il se pose des questions ; il ne répare pas le phare de sa vieille automobile ; il adore Finnerty, son collègue non-conformiste, un génie issu des quartiers défavorisés, en théorie une publicité vivante pour le nouveau système de classes sociales basé sur les capacités intellectuelles, en pratique un dépressif qui vit très mal sa condition et pense avoir trahi ses origines. Proteus et Finnerty ne sont pas les seuls à être malheureux : tous les pauvres bougres qui n'ont pas d'emploi, à qui on interdit de concurrencer le travail des machines (car pour que l'économie tourne sans heurt, la concurrence a été tuée : tous les patrons s'entendent pour se partager le marché. Dans ces conditions on ne peut laisser arriver de nouveaux fabricants, personne n'est autorisé à créer), dont les enfants ne peuvent qu'espérer une vie dans l'armée ou dans les Récons et Récups, façades fissurées destinées à donner l'illusion d'être utile à quelque chose. La colère gronde, la résistance s'organise, la fin du règne des machines est proche ! Premier roman de Kurt Vonnegut Jr, Le pianiste déchainé narre avec beaucoup de réalisme l'utopie d'une société "libérée" du travail, du syndicalisme, de la libre entreprise, du socialisme, du fascisme, de l'individualisme... Sous une très belle couverture rendant tout à fait l'ambiance dévorante du roman, un dialogue résume à mon sens le fond de ce livre : "Qu'est-ce que vous avez contre les machines ? -- Ce sont des esclaves. -- Eh bien quoi, dit Buck. Je veux dire, ce ne sont pas des êtres humains. Elles ne souffrent pas. Ca ne leur fait rien de travailler. -- Non, mais elles sont en compétition avec les êtres humains. -- C'est plutôt une bonne chose, non, dit Buck, si l'on considère la négligence avec laquelle la plupart des gens travaillent. -- Tous ceux qui entrent en compétition avec des esclaves deviennent des esclaves." Cependant, le roman est une première oeuvre, encore un peu maladroite, et il est surtout terriblement daté : 1952. Autant dire que la place des femmes parait plus que caricaturale quand on lit ce livre aujourd'hui. Il y a aussi quelques anachronismes charmants, comme les cartes perforées qui contrôlent tout ce qui est électronique, les murs de voyants rouges ou verts, les bobines, les ordinateurs de la taille d'une maison... Néanmoins, il en faudrait davantage que cela pour amoindrir cette dystopie grinçante (en particulier dans les passages mettant en scène un dirigeant étranger venu visiter le pays de la modernité), plus que jamais d'actualité dans le monde actuel où "il faut faire des gains de productivité par rapport à la main d'oeuvre bon marché", et où "il faut travailler plus pour gagner plus".
Ecrite par , le 13 Septembre 2010 à 15:09 dans la rubrique .
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