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(solidaires08)
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Nau, Michaël |
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Nau, Michaël
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Peu avant Noël 2007, l’équipe des Humanoïdes Associés sortait un supplément hors série du magazine Shogun Seinen. J’y découvrais alors le premier chapitre d’une série qui promettait, Linked. Il aura fallu deux ans pour que sorte enfin le premier opus de ce dyptique. C’est l’occasion rêvée d’en savoir plus sur le fonctionnement de ces Bds qui sortent des sentiers battus. Michael Nau, l’un des scénaristes, s’est montré fort enthousiaste et a gentiment répondu à mes questions, excusant l’absence de son acolyte Estéban Mathieu, fort occupé comme vous le verrez par la suite. Garion : Bonjour Michaël, et merci de répondre à mes questions pour Les chroniques de l’Imaginaire. Tu as co-scénarisé il y a quelques mois la Bd Linked, chez les Humanoïdes associés. Peux-tu nous dire un peu la genèse de ce projet, et les différentes étapes qui ont rythmé sa création jusqu'à sa sortie ? Michaël Nau : Bien sûr. Au départ, LINKED était le projet d’Estéban [Estéban Mathieu, Nd Garion]. En fait, les Humanos étaient intéressés par deux dessinateurs, Maria Llovet et Jesus Orellana. Voyant leurs univers, Guillaume Dorison (directeur de collection) nous a proposé à chacun de travailler avec eux. Cela devait donner ALTER avec Jesus et LINKED avec Maria. Le premier rebondissement vint lors de ma présentation d’ALTER. Guillaume et moi n’étions pas du tout d’accord sur un point et je refusais de céder. Estéban, qui assistait au débat, trouva une solution contentant tout le monde et il fut décidé que nous co-scénariserions ALTER et LINKED. Ensuite, pour la petite histoire, LINKED fut terminé, c'est-à-dire dessiné et lettré, il y a maintenant plus d’un an mais, pour des raisons que je ne suis pas certain de saisir, son impression en Chine fut particulièrement longue. G : Et donc avec Estéban, comment vous distribuez-vous les rôles ? MN : D’abord nous travaillons les grandes lignes du scénario ensemble. Les thèmes, les enjeux, le début, la fin… Puis, en allant du général au particulier, nous découpons l’histoire en plusieurs parties (chapitres, scènes etc.). Une fois les axes narratifs et le découpage terminés, nous nous répartissons les dites parties. Lors de l’écriture, nous nous allouons pas mal de liberté. Sur LINKED, comme sur ALTER, chacun était maître de son chapitre, même si, pour des soucis de cohérence, nous nous les envoyions évidemment à relire pour des retouches éventuelles. Le plus dur étant de faire en sorte que chacun des personnages garde « sa voix » tout au long du récit, même lorsqu’ils « changent de mains ». G : La question qui fâche : qui décide quand vous n’êtes pas d’accord entre vous alors ? MN : Avec Estéban, j’ai la chance d’avoir trouvé un véritable binôme dans le sens où, en plus d’être complémentaires, nous avons forgé une amitié très solide. Par conséquent, si nous ne sommes pas d’accord, nous n’écrivons pas la scène. Nous recommençons jusqu’à ce que nous soyons tous les deux satisfaits ou trop fatigués pour lutter [rires]. Cela dit, travailler à deux c’est aussi apprendre à accepter un travail rendu différemment de ce que l’on aurait réalisé soi même. Si l’on ne peut pas apprécier un résultat différent de celui que l’on avait en tête, alors autant travailler seul et écrire toute les scènes ou prendre un nègre. Il faut différencier ses goûts strictement personnels et affectifs des besoins de l’histoire et des personnages. Typiquement, un fan peut regretter la disparition de son personnage préféré, par exemple, mais s’il s’agit d’une évolution logique du récit, que l’histoire le demandait car, au vu de ses actions passées, c’était inéluctable, alors l’auteur aura eu raison. Quand bien même il pouvait lu aussi avoir un faible pour ce personnage. G : Une fois que vous êtes en symbiose sur le scénario, comment ça se passe avec Maria ? A-t-elle les coudées franches ou avez-vous un droit de regard et de rectification sur les planches ? MN : Personnellement, nous aimons bien laisser un maximum de liberté à l’artiste. Nous partons simplement du principe qu’il (ou elle) est le plus à même de retranscrire visuellement les émotions et intentions décrites dans le texte. C’est l’artiste qui a, a priori, l’oeil le plus expert et plus entraîné. Nos recommandations seront plutôt de l’ordre du bon sens ou de la cohérence narrative. Même si nous n’avons que deux publications à notre actif pour le moment, nous avons déjà eu l’occasion de travailler avec plusieurs artistes différents et tous ont pour point commun de faire un meilleur travail lorsqu’ils sont libres de prendre en charge la partie graphique de la narration. Jouer les directeurs d’acteurs despotiques ne fonctionne pas. C’est un peu « chacun son domaine d’expertise » et il faut savoir mettre de côté ses relents d’artistes contrariés [rires]. Si l’on n’est pas content, on prend le crayon et on dessine soi-même. Ensuite, nous avons eu beaucoup de chance avec Maria. D’une part son dessin collait parfaitement et, d’autre part, elle nous a très vite expliqué son seul impératif. Il s’agissait d’une certaine présentation du script. Recevoir ses pages était toujours un petit moment de satisfaction personnelle, se disant « wow, on a écrit ça, nous ? ». Et c’était tant mieux car, techniquement, demander à un dessinateur de refaire sa planche est une perte de temps inouïe. G : Parlons un peu de toi maintenant. Peux-tu nous décrire ton parcours avant de parvenir comme scénariste de Bd ? MN : Tout d’abord, je me dois de préciser que je ne vis pas encore du scénario. Sortir une ou deux Bd, c’est bien, mais à moins d’un succès retentissant, cela ne paie pas les factures bien longtemps. Ensuite, mon parcours est des plus simples, j’ai validé un Bac ES et entamé une licence de socio à l’université. Puis, ayant eu besoin de manger, payer mon loyer etc., j’ai trouvé du boulot et écris en parallèle. Comme beaucoup de scénaristes, j’imagine, le nombre d’années depuis lesquelles j’écris n’a rien avoir avec le nombre d’années depuis lesquelles je suis publié. Car, après tout, la véritable difficulté, c’est de convaincre un éditeur. Ecrire représente la partie facile. G : Et justement, comment as-tu convaincu les Humano ? Par Guillaume Dorison ? MN : Avec beaucoup de chance. Comme beaucoup de jeunes scénaristes j’imagine. Le fait est que je connaissais Guillaume Dorison depuis un bon moment. Or, comme je l’ai précisé, il connaissait un peu mes univers ainsi que mes anciennes tentatives de scénarisation sur d’autres projets. J’ai donc eu la chance de ne pas passer par la traditionnelle pile des « en attente » et d’avoir été, en quelque sorte, « drafté » tout de suite. Pour LINKED, le côté huis clos, violent, sexy et pathologique de certains personnages à dû les convaincre j’imagine. Pour ALTER, c’était le côté Blade Runner/Matrix… je ne suis pas convaincu qu’ils y aient vu/compris quoi que ce soit d’autre ou que cela les intéresse de toute façon. Je dirais que la meilleure chance de convaincre un éditeur est d’abord d’avoir un bon dessinateur. C’est triste mais juger un synopsis est tellement subjectif, pour ne pas dire aléatoire, qu’un bon dessinateur se révèle être un excellent accélérateur. Ensuite il faut convaincre que le projet est assez original pour être nouveau mais aussi assez commun pour que l’éditeur sache comment le vendre dès la première lecture. Pour nos projets futurs, la bataille est plus ardue. G : Qu'est-ce qui t'inspire pour tes scénarios ? Es-tu plus classique avec des lectures de roman, ou as-tu une solide culture Bd, franco belge comme asiatique ? MN : Etonnement, ma culture Bd vient essentiellement des comics US. Des auteurs comme Warren Ellis, B.M Bendis, Allan Moore ou Neil Gaiman, font parties de mes références absolues. Je lisais pas mal de mangas il y a quelques années, mais j’ai de plus en plus de mal à trouver des titres qui me passionnent. Je dirais bien que ma consommation de Bd asiatiques était liée à mon adolescence mais, la vérité est certainement que je ne cherche pas assez bien en librairie. Côté Bd européennes, j’ai mes favoris, mais je suis plus sélectif. Même si les artistes et les scénaristes sont aussi doués qu’ailleurs dans le monde, le rythme de parution et des dialogues me rebutent souvent. Mais c’est je pense dû à mon attrait pour les comics, puisqu’ils profitent d’une parution mensuelle et de la langue anglaise, beaucoup plus adaptée à l’écriture de dialogue Bd je pense… Côté romans, je dois avouer avoir beaucoup de mal à les finir. J’ai une relation amour/haine avec la littérature que je ne m’explique pas bien. J’aime les commencer, les finir, mais je suis généralement pris d’un ennui sans nom à l’approche des 100 premières pages. Aussi bien des oeuvres comme Le Seigneur des Anneaux que L’Ecume des jours représentent des heures de souffrance pour moi. Du coup, je lis plutôt des essais, des manuels ou le Science & vie du moment. G : La musique représente-t-elle une source d’inspiration à tes yeux ? Ou les jeux vidéos ? MN : Oui, bien sûr. Tout comme le cinéma, les Bd et articles que nous lisons. J’ai notamment beaucoup d’admiration pour certains paroliers et leur habilité à transmettre une variété d’émotions, de notions ou de réveiller plusieurs souvenirs avec un nombre minimum de mots. La mélodie aide, évidemment, mais comprendre les paroles d’une chanson peut changer de tout au tout ce que j’en retire. Il ne m’est pas rare de me demander comment instiller au lecteur une sensation équivalente à celle ressentie à l’écoute de telle ou telle chanson. Par contre, je ne crois pas m’être consciemment dit « tiens, je devrais faire une histoire sur ce thème » en écoutant une musique. Pour les jeux vidéo, bien que joueur régulier, je ne les ai jamais considéré comme une source d’inspiration. Je pense que si j’avais été graphiste ou dessinateur, je réviserais certainement mon jugement, mais en terme de narration, je n’ai pas le reflexe ou la motivation de me tourner vers le jeu vidéo comme source d’inspiration. Là-dessus, les artifices du jeu vidéo sont essentiellement visuels et ne me sont donc pas forcément utiles a priori. Même si j’avoue être un grand fan de Mass Effect et Mass Effect 2 et m’être plusieurs fois émerveillé devant la qualité des dialogues et l’intelligence avec laquelle ils ont su développer et remettre en question leurs thèmes et leurs personnages. G : As-tu publié d’autres de tes textes, quels qu'ils soient, avec différents éditeurs ? MN : Pas encore. Nous avons eu la chance d’être publié par les Humanos sur notre premier projet mais ne sommes pas hostiles du tout à l’idée de travailler avec d’autres éditeurs. C’est, je pense, le seul moyen qu’un scénariste possède pour faire valoir son travail et pencher un peu le rapport de force en sa faveur. Etre en contact/contrat avec plusieurs éditeurs et faire un hit. Sinon, c’est un régime de peut être, d’incertitudes et de concessions à tous les repas. G : Revenons à la genèse de Linked. Le premier chapitre est paru dans l’éphémère Shogun Life. Dès le départ, vous saviez exactement le nombre de chapitres qui composeraient l’histoire ? MN : Pour LINKED oui. La ligne Shogun était assez avancée pour des prévisions réalistes et, de notre côté, nous savions qu’au-delà de deux tomes nous n’aurions certainement plus rien à dire. Cela nous a permis de planifier l’histoire en amont et de correctement placer les éléments que nous voulions développer. Connaître à l’avance le nombre de chapitres souhaités par l’éditeur est un confort qui n’a pas de prix. Estéban et moi-même sommes le genre de scénaristes qui aiment planifier la fin de l’histoire dès le départ, parfois avant même le début, c’est donc une information vitale pour nous. Pour ALTER par exemple, avant que les Humanos ne décident d’arrêter la série, le nombre de chapitres fut plusieurs fois révisé et, avec Estéban, plusieurs sessions de brainstorming furent souvent nécessaires pour se sortir des casses têtes que cela entraîna. G : Bref Alter c'est mort ? Pourquoi ? MN : Pour le moment oui, pour la plus simple des raisons du monde. Trop peu d’exemplaires vendus. C’est aussi une bonne leçon. Rétrospectivement, un faible tirage, des auteurs inconnus, un nouveau format et une narration peut être un peu exigeante n’étaient pas forcément une mixture intelligente… sans promo aucune [rires] G : Alter nous avait été présenté comme (je cite le Shogun Seinen) « la fusion ultime du manga, de la Bd et du comics ». Était-ce un effet d'annonce de Guillaume, ou une volonté de la part des scénaristes ou du dessinateur, Jesus ? MN : C’est un effet d’annonce. Personne, je pense (j’espère ?) ne peut consciemment se dire qu’il va faire la « fusion ultime entre le manga, la BD et le comics » G : Pour Linked, le scénario du second volume est achevé ou y a-t-il toujours du boulot de dernière minute à faire ? MN : La structure et le plan du tome deux furent achevés en même temps que ceux du premier. Les chapitres 1 et 2 sont complètement rédigés et le chapitre 1 est même déjà entièrement dessiné. G : Pour quand est prévue la sortie du dernier tome de Linked ? MN : Tout dépend à quelle vitesse les gens achètent le tome 1. G : Soyons optimistes : une fois Linked achevé, avez-vous d'autres projets déjà définis Estéban et toi, ou est-ce la grande aventure ? MN : C’est la grande aventure. Bref, nous faisons des notes d’intention en espérant se situer pile poile sur la frontière entre le déjà vu/convenu/ça vend et le novateur/original/on est burné. Encore une fois, nous avons eu une position privilégiée pour ALTER et LINKED. Désormais, nous sommes en pleine phase de pitch avec Estéban. C'est-à-dire que nous présentons notes d’intentions sur notes d’intentions en espérant qu’un de nos projets sera sélectionné. On croise un max de doigt en espérant tomber sur le jour où tous les directeurs de collections sont bien lunés, à l’aise dans leurs chaussures et sexuellement satisfaits par leurs conjoints. Bref, les conditions idéales. G : Pour conclure, comment on se sent après avoir sorti un "bébé" de cette taille ? MN : Fier au début puis, très vite, un peu honteux et pressé de recommencer pour mieux faire. La satisfaction a du bon pour l’ego, mais la procrastination n’est jamais très loin non plus. G : Toute l’équipe des Chroniques de l’Imaginaire vous souhaite le meilleur pour la suite. Et merci beaucoup d’avoir supporté mes caprices de pseudo-journaliste même pas professionnel ! MN : Merci à toi. Pour citer Kevin Smith : « I’am a press whore » !
Ecrite par , le 02 Juin 2010 à 15:06 dans la rubrique .
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