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Cluzeau, Nicolas

 
  Cluzeau, Nicolas
 

Interview de Nicolas Cluzeau recueillie par Yakumo.

Yakumo : Bonjour Nicolas Cluzeau, merci d'avoir accepté cet entretien. Nous allons commencer par une question classique : peux tu te présenter ?

Nicolas Cluzeau : Je suis le fils d'une restauratrice et d'un ingénieur du son qui est aussi un écrivain - bien que nos styles diffèrent, nous avons l'écriture, la lecture et l'humanisme en communes passions. J'ai maintenant trente-six ans, je suis marié à une turque nommée Filiz, et je vis à Ankara, où nous avons élu domicile. Je m'adonne à ma passion de l'écriture, du jeu et du maquettisme à proportions égales, et je suis un bon vivant. J'aime la musique sous toutes ses formes, et je lis de tout, des livres d'histoire à la fantasy en passant par les poèmes de tous les pays et la philosophie. Après une formation ratée dans cette matière en fac, je me suis lancé dans l'écriture, ai co-créé la revue Faeries aux éditions Nestiveqnen. J'ai ensuite été pour un temps scénariste dans une boîte de jeux vidéos avant de tout lâcher pour partir en Turquie. Pour le moment, l'écriture est mon métier, et cela n'est pas prêt de changer !

Y : En écoutant tes passions, je ne suis pas surpris, car La ronde des vies éternelles regorge de références à l'histoire et à la philosophie. Peux tu nous dire lesquels ?

NC : Pour ce qui est de la philosophie, je ne sais si on peut parler de références. J'écris mes idées telles qu'elles me viennent, bien que, sans doute, elles soient très influencées - pour le cas de La ronde des vies éternelles - par le système de pensée de Platon sur les Idées et les âmes et la mythologie grecque mélangées. Le fonctionnement "social et politique" de Corollis est basé sur l'équation simple qui est : immortalité physique = souffrance continue + détérioration de la raison, dominée par un prédateur-dictateur à la tête de cet état despotique. Cependant, je ne peux pas affirmer que ce soit vraiment de la philosophie pure, car comme je l'ai dit, j'ai organisé le livre sans même penser. Le problème des âmes des quatre protagonistes repose aussi sur la manière que Platon a de voir la réincarnation, mais ce sont là les seules choses qui se rapprochent de la philosophie, si on peut l'appeler ainsi. Les références viennent s'incruster d'elles-mêmes par habitude, par le fait de mes propres idées en la matière et mes supputations pour un monde où la mythologie grecque est dominante par rapport aux autres - et je trouve que donner cette teinte terrestre et ces références mythologiques m'évitent de créer un panthéon tout neuf où les lecteurs pourraient peut-être se perdre. Pour ce qui est de l'Histoire, on peut plus parler de références linguistiques, car j'essaie de garder, comme pour des pays dont les langues sont développées et typées, une cohérence dans les noms des villes, des personnages. Par exemple, les Lattes ont des noms latinisés (pour l'Empire qui est décadent) ou francisées/italinisés (pour la République jeune et vigoureuse). A part ça, l'Histoire du monde, Thorion Weir, est unique même si elle peut ressembler à la nôtre par certains côtés architecturaux et politiques, mais j'essaie de rester dans un monde de fantasy où tout peut arriver, néanmoins, comme sur le nôtre à des périodes transitoires antiquité - moyen âge - renaissance.

Y : Justement ton oeuvre mélange ces trois périodes, si bien qu'il est parfois difficile à première vue de savoir à quelle époque on se trouve. Le titre contient le terme "éternelle", as tu voulu donner au lecteur le sentiment que cette histoire peut se passer à n'importe quelle époque, que la date où elle se situe importe peu ?

NC : Je n'ai pas l'impression de mélanger les trois trop ouvertement. De plus, les dates sont établies, comme l'énumération des jours de naissance des personnages au début du livre le fait comprendre. Mais il est vrai que l'histoire elle-même est un drame familial sur fond de vengeance divine. La date importe peu dans le premier volume, mais dans les suivants - la reconstruction de la famille par la quête des âmes - et le cycle à suivre derrière, elle prendra de l'importance puisque les deux continents du monde vont être au sein d'une tourmente dont ils ne se remettront peut-être jamais. Le fait que le monde te semble un mélange d'antiquité et de renaissance provient selon moi du fait que la vie religieuse de la plupart des pays du continent nord est restée polythéiste, car comme tu as pu le voir, les dieux sont bien présents et personne ne doute de leur existence. Seul un pays du nom de Vernes est devenu monothéiste, mais là encore, cela fait partie d'une trame importante pour les futures volumes. Le continent sud est constitué de vieux empires et de vieilles républiques moribondes qui vénèrent encore les Titans. Le monde de Thorion Weir (qui veut dire "La Merveille des Titans" en Ormérite, le "langage" des Titans de mes livres), sur lequel se déroule l'action de La Ronde des Vies Eternelles, est un monde en pleine transformation, qui passe lentement (ou brutalement pour l'Empire latte) d'une société médiévale et féodale à une société républicaine en pleine effervescence, découvrant que la soi-disante démocratie (pour simplifier) est meilleure que l'autocratie. Cependant, La Ronde des Vies Eternelles n'aborde que superficiellement le sujet. Pour une meilleure compréhension des sociétés et de leur mutation dans ce monde, il faut se reporter à Embûches et Erika, mes deux premiers livres, aux tomes qui suivent La Ronde des Vies Eternelles, ou pour une exploration de divers types de gouvernement sur Thorion Weir, aux histoires courtes de Harmelinde et Deirdre.


Y : Je trouve également que les personnages principaux sont bien mis en avant dans ton roman. Le début évoque presque le commencement d'une campagne de jeux de rôle (quatre personnages complémentaires se rencontrent dans une auberge pour une quête). Connais tu ces jeux et t'en ai tu inspiré ?

NC : Je suis un joueur de jeu de rôle assidu, ou du moins je l'étais avant mon départ en Turquie. J'ai pratiqué, comme à peu près tout le monde, Donjons et Dragons, puis Runequest, Rêve de Dragon, Superworld, l'Appel de Cthulhu, et aussi un jeu que moi et des amis avons créé et qui a duré jusqu'à mon départ à l'étranger. Ici, en Turquie, je pratique Neverwinter Nights en tant que joueur et maître de jeu aussi, parce que le jeu de rôle me manque terriblement. J'étais aussi beaucoup maître de jeu et j'adorais (et j'adore toujours) écrire des scénarii et les faire jouer. D'ailleurs, cela passait souvent de petit scénario à une grande campagne, mais c'est ma déformation épique qui veut ça. Tout cela pour dire que le jeu de rôle m'a formé, c'est vrai, à écrire les histoires des personnages que je jouais, et celles des personnages non-joueurs que je liais à mon scénario. Aussi, j'aime aller loin dans l'histoire personnelle d'un personnage et de son passé (lorsqu'il s'agit de personnages déjà âgés et expérimentés). Lorsque je me suis mis à écrire mes nouvelles et mon premier roman, c'était le résultat d'une frustration de ne pouvoir garder les bons moments du jeu de rôle. J'ai donc décidé de m'essayer à raconter des histoires inspirées de mes sessions de jeu, puis j'ai crée un monde (et un Multivers autour, déformation rôliste), Thorion Weir, où j'ai écrit Le Lai de Nordhomme 1 et 2, puis la saga de Le Dit de Cythèle.
Comme vous l'avez dit dans la critique, les combats sont bien décrits, tout simplement parce que j'en ai une vision découpée de jeu de rôle, ce qui me permet de les visualiser beaucoup mieux - enfin, pour moi, c'est rassurant et me permet de ne pas paniquer lorsque je décris une scène de combats individuels. Les scènes de combat de masse, c'est beaucoup plus dur, mais j'aime les wargames tactiques et stratégiques, et cela m'inspire assez aussi.
Pour revenir aux personnages de La Ronde des Vies Eternelles, c'est un peu différent de l'élaboration de personnages "normaux" - même s'ils ont une histoire assez fouillée -, dans le sens où ils font partie intégrante d'une unité finale, et donc sont parfaitement complémentaires puisque Plutonis, le Dieu des Morts, les a voulus ainsi. Je ne dévoilerai pas la fin du roman, cependant, qui contient toutes les révélations du pourquoi et du comment. Mais c'est vrai que le début, après les quatre histoires des personnages, est assez dans l'esprit rôliste un peu classique. D'ailleurs, petite anecdote, dans la première version du roman, les quatre personnages entraient dans l'auberge un par un, se rencontraient et racontaient leurs histoires. C'était un peu lourd, aussi j'ai opté, après conseils éclairés de relecteurs et de la directrice littéraire, pour une entrée des histoires dans le vif, et ensuite une réunion à l'auberge de la Croisée des Chemins.

Y : L'autre coté amusant concernant les personnages est leur façon de s'exprimer. Ils utilisent un langage relativement soutenu et cela concerne même les guerriers. Bref, cela change de notre "bon vieux nain" cher à tous rôlistes :-). Pourquoi ce choix ?


NC : Eh bien je dois le confesser : j'ai un faible pour le beau langage et la langue française, ainsi que pour les dialogues élégants. Il est possible que cela ne fasse pas réaliste, mais dans un monde de fantasy, je dois dire que cela ne me choque pas trop. Les dialogues de Jack Vance sont sublimes, par exemple, et même le paysan de base parle la langue rusée et élégante des personnes roublardes. Pour mes personnages, cela peut s'expliquer ainsi : Brytomarte et Eringvard sont des guerriers, mais la première a été rééduquée dans une école militaire de haut vol et le deuxième a reçu un enseignement orlando-nordhommois (voir les livres Embuches et Erika pour comprendre ce que ça veut dire), ce qui pourrait expliquer leur bagout recherché. Quant à Cythèle et Syrmaïl, ce sont des lettrés, et parler avec un vocabulaire un peu élégant pour exposer leurs raisonnements me paraît un peu normal. Pour résumer, j'aime avoir des dialogues où les personnages peuvent se répondre en tournant et retournant le langage et l'arranger à leur sauce pour essayer de convaincre leurs interlocuteurs. J'essaie d'y mettre aussi un peu d'humour de surface, pour amuser le lecteur, par pour déclencher un éclat de rire franc, mais pour le faire sourire légèrement. Une dernière chose, cependant : La Ronde des Vies Eternelles a été écrite il y a très longtemps, juste après Embûches et Erika, et l'influence de ces deux premiers romans peut se remarquer justement par le langage employé. A présent, je suis moins "précieux" dans mon écriture, peut-être parce que les gens qui me lisent disent que cela nuit à l'histoire. J'essaie toutefois de garder cette touche d'élégance dans certains dialogues où cela semble logique et non superflu pour donner une teinte particulière à des personnages. Si tu lis les prochains tomes de la série, tu me diras si tu vois des changements de ce côté.

Y : Je n'y manquerais pas :-). On a vu que tu étais un rôliste acharné. T'en inspires tu pour écrire un roman ? En gros, commences tu par écrire le "scénario" de l'histoire avant de le détailler ?

NC : Tu as mis le doigt dessus. C'est en effet ainsi que je procède. Je commence par écrire un plan général, pas trop détaillé. Mes personnages sont déjà prêts, écrits avec leur histoire, il ne me reste plus qu'à organiser tout autour d'eux. Au moment de commencer à écrire chaque chapitre, je fais un petit plan plus profond, et j'entame l'écriture du chapitre. Je laisse aussi beaucoup murir mon plan de chapitre ou de partie dans ma tête, y pensant beaucoup avant de me coucher, et le lendemain, j'ai plein de petites idées qui me viennent facilement. Même s'il est vrai que j'aime laisser mes personnages réagir spontanément - et dans ce cas ils peuvent échapper à mon emprise ! -, je sais toujours comment la trame principale ou le scénario vont se terminer. Par contre, je me laisse le plaisir de découvrir les actions de mes personnages pour me surprendre moi-même. Certaines fois, je décide au dernier moment de faire mourir un personnage important, parfois de manière stupide pour irriter le pathos du lecteur (cela m'a été reproché dans Erika, d'ailleurs, mais j'aime me surprendre et surprendre les autres). Par exemple, lorsque Dan Simmons, dans L'Echiquier du Mal, tue le héros principal au milieu de l'histoire, je suis soufflé et je maudis l'auteur, mais je lui tire mon chapeau aussi. Ca peut paraître bizarre, mais c'est aussi un peu ma manière de fonctionner. Toujours laisser le lecteur - et moi par extension le premier lecteur de tous - dans l'expectative. C'est un de mes grands plaisirs de l'écriture et de la lecture.
Autre exemple, lorsqu'un long passage de dialogues importants arrive, je sais quel va être le sujet, mais les personnages peuvent tourner autour sans y toucher pendant des pages. C'est très palpable dans le deuxième tome de Le Dit de Cythèle, Les Larmes du Démon, où une discussion des personnages avec plusieurs de leurs ennemis dérive en analyse du pouvoir et de sa relation au peuple ; d'ailleurs, à un moment, le chef des ennemis frappe sur la table, un peu colère, et dit, en gros : "Bon, et si on en revenait au sujet de votre mort prochaine ?" Parfois, ce genre de réaction me surprend en pleine écriture, c'est quelque chose de totalement imprévu, mais qui peut bien s'ancrer dans le récit.
Tout ça pour dire que, même avec un plan très détaillé écrit auparavant, je peux soudainement changer tous les parcours, même si la fin restera la même. C'est ce qui se passe souvent dans le jeu de rôle, lorsque soudain les joueurs décident de faire une chose imprévue. Et hop, on part dans l'improvisation tout en essayant de ramener les joueurs dans la voie du scénario. Ce qui n'est pas chose aisée. C'est la même chose en écriture, pour ma part.

Y : Tu es fan de plein de jeux de rôle différent qui ne sont pas tous des JDR de fantasy. Envisages tu un jour de t'éloigner ce genre pour écrire de la science fiction ou du policier par exemple ?

NC : J'ai viens de finir un petit roman semi-historique sur une bataille historique de l'Histoire turque (même si elle est mâtinée de fantasy par un peu de chamanisme et de magie), donc je commence à explorer petit à petit les autres genres. Cependant, celui où je n'écrirai jamais est la science-fiction. Je ne sais pas pourquoi, autant j'adore lire de la science-fiction, autant en écrire me paraît au-delà de tout espoir pour moi. Le Multivers que je construis est en fait un univers de science-fiction qui baigne dans la magie et la fantasy techno-magique, parce que je n'arrive pas à le développer en sicence-fiction. J'ai trop peur, peut-être, de jouer avec des concepts scientifiques qu'il me faudrait étudier pendant des années pour être à peu près cohérent. Mais je n'utilise pas la fantasy pour rester dans la facilité pour autant. En littérature, j'aime le merveilleux et la magie, et en parallèle tout ce qui se rapporte à la nature magique du monde, et la fantasy que j'écris correspond à ce que je voudrais lire et que je ne trouve pas en librairie (sauf dans les romans de Philippe Monot et Charlotte Bousquet, mais c'est une autre histoire), parce que je suis le partisan d'un non-étiquettage des littératures, comme l'anthologie que j'ai dirigée, Science et Sortilèges, essaye de le montrer.
Donc, pour répondre à ta question, non, je n'envisage pas d'écrire de la science-fiction pour le moment, mais le policier me tente. Seulement, il sera mâtiné de fantastique ou de fantasy, j'ai peur d'être presque incapable d'y échapper.

Y : On a vu que tu adorais Jack Vance et Dan Simmons, y a t'il d'autres auteurs que tu affectionnes tout particulièrement?

NC : Eh bien, pour les auteurs non-francophones, on peut citer J.R.R. Tolkien, le grand classique, et je recommande à ceux qui comprennent bien la langue anglaise de relire les livres du maîte dans le texte original (ce que j'ai fait avec un plaisir renouvelé, moi qui ne l'avais jamais relu en français depuis que j'avais fermé la dernière page il y a vingt ans de cela), pour en savourer tout le goût. C'est par lui que j'ai découvert la fantasy et le lyrisme épique, je luis dois énormément pour ce qui est de l'établissement d'un univers cohérent. A part ça, eh bien j'ai un faible pour Tanith Lee ; son Dit de la Terre Plate est resté écrit en lettre de feu, de passion et de sang au fond de mon crâne : un des seuls grands cycle que j'ai relu deux ou trois fois. Et puis Louise Cooper, ou encore Steven Brust. Pour s'éloigner de la fantasy et de la Science-fiction, j'adore beaucoup d'auteurs, je ne peux pas en choisir un en particulier. Allez, pour le plaisir : Arthur Perez-Reverte m'a fait vibrer avec le Capitaine Alastriste, Patrick O'Brian m'a emmené avec lui sur une frégate anglaise pendant bien des romans. Orhan Pamuk et Yachar Kemal, Bilge Karasu chez les turcs, m'ont ouvert les yeux sur leur culture et leurs fractures.
Chez les Francophones, on peut signaler les nouvelles de fantasy du violent Thomas Day, celles tripantes du célèbre Fabrice Colin. Pour les romans et les cycles, je désigne du doigt le grand Philippe Monot et la talentueuse Charlotte Bousquet, qui m'ont époustouflé avec leur écriture.
J'ai dû en oublier, et qu'ils me pardonnent, même s'ils ne me connaissent pas.

Y : Je vois que tu as donné quelques auteurs turcs, toi qui vit là bas, peux tu nous dire l'état de la fantasy et de la science fiction chez eux ? Ont ils une manière de créer un monde médiéval fantastique typiquement oriental ?

NC : Non, ils n'ont aucune littérature de fantasy médiévale en elle-même, et les seuls livres de fantasy que je vois sur les étagères des librairies depuis trois ans sont les best-sellers américains et anglais et les romans de jeux de rôles des Royaumes Oubliés. Aucune fantasy à couleur locale. Cependant, les turcs ont une formidable tradition orale et des centaines de contes et légendes qui remontent du temps où les Oghuz nomadisaient dans les plaines d'Asie Centrale. Ils possèdent un matériel fabuleux pour écrire d'énormes cycles de fantasy médiévale (ce que je ne vais pas me priver de faire, pour ma part, dans de futurs romans) ! Pour se faire une idée de la vie nomade, il faut lire Le Livre de Dede Korkut, déjà teinté d'Islamisme, mais toujours attaché aux traditions chamaniques et claniques des Oghuz d'origine. Donc, pour répondre à ta question, oui, ils ont une manière de créer un monde médiéval typique, mais uniquement dans des contes rattachés aux valeurs nomadiques de leurs ancêtres des steppes.
Petite anecdote : une éditrice turque a lu un de mes ouvrages et m'a proposé d'écrire des petits livres en épisodes semi-historiques de fantasy sur l'histoire turque depuis la bataille de Mantzikert en 1071 jusqu'à l'avènement de la République en 1923. Après un petit mois de documentation et de rédaction, je viens de finir le premier, qui sera traduit le mois prochain et publié en Turquie. Je me suis toujours demandé pourquoi ils n'ont pas fait appel à un écrivain turc, mais dans le genre que l'éditrice voulait, pure fantasy pour 11-14 ans avec les événements historiques se déroulant en fond, j'ai l'impression qu'il y a un grand manque chez les écrivains du pays. Et l'éditrice ne voulait pas prendre d'historien turc ou même d'écrivain pour la jeunesse pour rédiger, de peur que ce soit comme tout ce qui a été fait avant, trop extrême dans les idées, ou trop naïf. J'ai eu l'impression qu'elle pensait que je serai plus objectif. Nous verrons si j'ai réussi, le public turc tranchera.
En fait, si je peux résumer, la fantasy, le fantastique et la science-fiction sont encore moins bien considérés ici qu'en France, et restent des genres réservés aux enfants et adolescents, car "peu sérieux". Et ça n'est pas prêt de changer, même avec la sortie du Seigneur des Anneaux, qui a fait un petit tabac en Turquie, aussi. Par contre, ce qui marche bien, ce sont les bandes dessinées, et les COMICS américains.

Y : Il est effectivement dommage qu'ils n'accordent pas plus de chance à des auteurs fantastiques. Comptes tu profiter de tes connaissances des contes turcs pour écrire un jour un roman alliant cette culture et une écriture fantastique plus occidental, voir d'adapter ton travail pour les 11-14 ans à un public plus mature ?

NC : En fait, j'ai déjà commencé à faire des plans pour un énorme roman fantastico-historique contemporain qui irait dans ce sens, mélangeant non seulement les traditions populaires turques, mais aussi les traditions musulmanes et chrétiennes. Ambitieux, et pas facile du tout, comme exercice de style. Plusieurs mois de documentation au minimum et pleins de notes, et c'est pour ça que j'attends d'en savoir plus sur l'histoire turque pour réellement commencer ce roman.
De plus, je vais reprendre tous les récits pour la jeunesse que j'écrirai pour en faire sans doute une série sur l'histoire turque, mais cette fois pour, comme tu dis, un public plus mature, en augmentant le texte de manière conséquente, de manière à ne rien laisser dans l'ombre pour un public français qui n'a pas les solides bases historiques que connaissent les turcs, mais seulement des préjugés qui ne sont qu'une suite de clichés.

Y : En temps que lecteur, je ne peux qu'espérer que ces projets aboutissent, maintenant qu'on a vu où en était la littérature turque. Quelle est ton opinion sur l'état actuel de la littérature française dédiée à l'imaginaire au sens large ?

NC : Au sens large, tout le monde dit qu'elle se porte mal. Mais ce n'est pas vrai, je pense. C'est le monde de l'édition tout entier qui se porte mal. Je pense au contraire que les littératures de l'imaginaire francophones gagnent de plus en plus de terrain, même si les anglophones sont largement en tête et ne risquent pas d'être dépassées. Il n'y a qu'à voir la surface de librairie qu'elles occupent à présent, par rapport à il y a dix ans de cela. Elle a doublé, voire triplé, avec de nombreux auteurs francophones, à présent ! Par ce que je sais de Nestiveqnen (et de quelques autres maisons d'édition avec qui j'ai discutées), les ventes continuent à grimper au lieu de s'effondrer, dans tous les domaines de l'imaginaire.
Je vais surtout parler de la fantasy, en fait, parce que je suis en plein dedans et que je ne connais pas l'état de la science-fiction et du fantastique français de manière absolue. La production de fantasy francophone est, je trouve, de plus en plus foisonnante et de qualité depuis le début du siècle, et nous découvrons chaque année à quel point l'imaginaire francophone est riche et composite dans ce domaine, pour faire un pied de nez à ceux qui pensaient que notre esprit cartésien français nous empêchait de pouvoir imaginer des choses extraordinaires. Cependant, comme je le disais, le genre n'est toujours guère considéré par les "élites" bien-pensantes (alors que Tolkien est un classique de littérature en Angleterre, et numéro 1 absolu de la faveur du public).
Cela n'empêche pas certaines maisons d'édition de naître et de trouver leur public et de réussir à s'en sortir avec grand honneur : Bragelonne, Mnémos et Nestiveqnen sont en fait nées de par ce manque qui existait dans l'offre de fantasy que le public demandait et continue de demander toujours. Et cela avait commencé bien avant la sortie du Seigneur des Anneaux au cinéma. Dans la moitié des années 90, les premiers grands écrivains de fantasy comme Fabrice Colin, Pierre Grimbert et Mathieu Gaborit ont lancé la nouvelle vague de fantasy francophone, et au moins deux sur les trois ont été et sont sans doute toujours des joueurs de jeu de rôle. Depuis, de nombreux écrivains (dont moi) venant du jeu de rôle se sont mis à l'écriture parce qu'ils avaient cette formation dont j'ai parlée plus tôt, d'organiser des histoires et de les mettre en scène.
Ce qui fait que je suis très optimiste sur l'état actuel et futur des littératures françaises liées à l'imaginaire, et que cela ne peut qu'aller dans le bon sens.

Y : Après ce constat positif peux tu nous dire tes goûts concernant le cinéma ou la musique ?

NC : Vaste question ! Parce que je suis une personne très éclectique dans mes goûts. On pourrait presque dire que j'aime tout. Pour le cinéma, lorsque le film est au moins regardable, je prends toujours beaucoup de plaisir. De Woody Allen en passant par les films d'aventure des années 40, de Star Wars aux documentaires comme Les Oiseaux, si le film est bien organisé, bien tourné, avec une cohérence au moins passable ou un humour extra, je me laisse partir dedans. Je ne suis pas très difficile. Mais il est vrai que j'ai une certaine préférence pour les films à grand spectacle ou d'aventure. Le dernier film que j'ai vu en Turquie au cinéma est Master and Commander. Même si l'intrigue n'est pas très fidèle au livre de O'Brian, je me suis laissé totalement emporter du début jusqu'à la fin. C'est le genre de film que j'aimerais voir plus souvent au cinéma. Je reste par contre un inconditionnel du Seigneur des Anneaux au cinéma, cette adaptation est pour moi quelque chose qui me fait frissonner de plaisir du début jusqu'à la fin, et je l'ai vu un nombre de fois inimaginable, tout comme le très beau Blade Runner, qui n'a pas pris une seule ride depuis 1981.
Pour la musique, c'est la même chose. J'aime presque tout. J'ai tout de même quelques préférences, bien sûr, et des périodes où j'écoute plus une musique qu'une autre. Je suis resté un nostalgique des Pink Floyd, de Yes, de Genesis d'avant les années 80, par exemple. Mais je n'en écoute pas moins avec plaisir Lynkyn Park ou même Eminem. J'ai un faible pour la musique de film lyrique ou la musique classique narrative, aussi, et c'est d'ailleurs sur ce genre de musique que j'écris. Cela me stimule et m'emporte comme dans un film, crée des images et des scènes dans mon imagination.

Y : As tu un site internet ?

NC : Oui et non. J'ai bien un site-test, www.kiwispot.com/triliock, qui est en construction depuis plus de six mois. C'est une amie néo-zélandaise qui le prépare dans son temps libre en bilingue français/anglais, et pour le moment, il n'y a que les textes que j'ai écrits en anglais sur le site, même si tous les menus y sont.

Y : Je crois qu'on commence à te connaître. Avant de se quitter peux tu dire un derniers mot pour mes lecteurs ?

NC : Juste un p'tit truc comme ça :
Sur la vergue de hunier de grand mât,
Nous marchons tous la tête en bas
Volons alors, libres de toute attache
Et faisons, sur le pont, une grosse tache !
Cela ne veut rien dire, mais cela me résume bien. Merci de votre patience, lecteurs !

Ecrite par Yakumo, le 27 Avril 2004 à 09:04 dans la rubrique Interviews .
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