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Dau, Nathalie |
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Dau, Nathalie
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Nathalie Dau, auteur de nombreuses nouvelles et dun roman court, Bleu Puzzle (Tacussel, 1991 sous le pseudonyme Nathalie Letailleur), lauréate du prix Merlin 2006 pour sa nouvelle Le violon de la fée, anthologiste (Lesprit des bardes, Nestiveqnen 2003) est également parolière, poétesse et depuis peu, directrice de sa propre maison dédition - Argemmios. Ses Contes myalgiques viennent de paraître aux éditions Griffe dencre et son prochain ouvrage, Les débris du chaudron, est prévu pour le 1 février 2008 chez Argemmios.
Cest sur un banc dAubervilliers, que Nathalie a gentiment accepté de répondre à mes questions. Mérédith Blixen : Nathalie, tu es probablement lune des plumes les plus intéressantes et poétiques de limaginaire francophone contemporain Peux-tu résumer pour les lecteurs des Chroniques de limaginaire ton parcours ? Quand as-tu commencé à écrire ? Quel était le thème de ton premier roman ? Nathalie Dau : Ah ! Dentrée de jeu, on essaie de me transformer en super tomate ! Cest donc les joues brûlantes, mi-flattée mi-ne sachant plus où me mettre, que je vais tenter de répondre à tes questions. Jai commencé à écrire lorsque jétais très jeune : en CE2, javais alors 7 ans puisque, enfant précoce, javais « sauté une classe » (ce qui na pas que des avantages). Vers 9-10 ans, je nespérais déjà quun devenir, pour moi : écrivain. Javais des milliers dhistoires dans la tête, des difficultés à les exprimer à loral, jusais donc de lécrit comme vecteur de mes émotions et réflexions intimes. Je lisais énormément, les livres étaient mon refuge, mon échappatoire. Mais javais aussi le besoin de construire de mes mains un abri personnalisé, doù lécriture. Jai dabord été attirée par les contes, puis la poésie, puis le roman historique. Cependant, héritage probable des contes et des récits mythologiques que je dévorais, je ne pouvais empêcher la magie, le fabuleux de se glisser dans mes écrits. Vers 18-19 ans, jai découvert Tolkien et compris quil existait un genre littéraire fait pour moi : la fantasy, surtout lorsquelle flirte avec le fantastique. Jacques Sadoul a qualifié mon premier roman, Bleu Puzzle, de « conte fantastique ». Cest lhistoire dune âme puissante, une âme née sous le signe de lEquilibre, qui donc sest toujours opposée aux dieux parcellaires, cest-à-dire ceux de la Loi et du Chaos. Lors du décès de son premier corps charnel, cette âme sest trouvée fracassée par la déesse qui garde les Limbes, et chacune de ses miettes est partie sincarner dans un monde différent, dans des univers parallèles et bien cloisonnés. Mais, en certaines occasions, une conjonction ouvre des passages, et lâme va tenter de rassembler ses miettes pour se reconstituer, afin de regagner son monde dorigine et reprendre la lutte contre les extrêmes. Bleu Puzzle est construit comme le jeu évoqué par le titre : la première partie est composée de pièces disparates en apparence, il sagit de quelques-unes des miettes, aussi diverses quun enfant-roi emprisonné, un serpent géant, une adolescente française... Lors de la seconde partie, on assemble les pièces en formant dabord le contour, et lon va davantage sintéresser à la pièce « terrienne » quest la jeune Noëlle. On va suivre son parcours à partir du moment où la miette dâme séveille au souvenir, avec les troubles mentaux que cela induit (du moins en apparence), jusquà lintervention salutaire dun lord anglais, aussi riche quexcentrique, initié à certaines choses et passionné par la couleur bleue. Dans la dernière partie, enfin, le motif complété se révèle, tout semboîte et prend son sens. A noter que lâme ainsi morcelée, héroïne sous-jacente de Bleu Puzzle, est celle du personnage principal de mes cycles de fantasy (encore inédits) et que son monde dorigine est celui sur lequel se déroule lintrigue des romans. Javais conçu Bleu Puzzle, à lorigine, comme une passerelle entre deux mondes : le nôtre, et celui du Livre de lEnigme. MB : Le bleu est une couleur très importante, dans ton imaginaire. Je pense en particulier aux Mages Bleus... ND : Ah, cest toute une histoire damour un peu complexe, que jai racontée sur mon site dauteur (voir Ego Système, Confidences, Blue Soul). Le bleu, surtout le bleu clair, est ma couleur préférée. Jaime le fait quelle ne soit pas distincte du vert et du gris, en breton, ainsi le mot glaz désigne toutes les teintes par lesquelles passent mes yeux. Jaime aussi le fait quelle ait longtemps été assimilée au noir, quelle ait représenté lun des secrets les plus précieux des artisans verriers, quelle soit ambivalente, à la fois symbole de castration et délévation spirituelle, et damour. Jen ai fait la couleur de lEquilibre, là où le gris occupe la place, dordinaire. Sa profondeur menvoûte et mapaise, sa poésie memporte. Mon bleu, celui des robes de mes mages, cest celui que prend le ciel, en hiver, quand il fait très beau et quon se tient au sommet dune pente enneigée, pris entre le froid de la saison et la douce chaleur des rayons de soleil. Mais jaime aussi le bleu de la foudre, celui des lames dacier, celui des ombres de la glace Le bleu maide à garder lespoir. MB : Une réponse magnifique et en plus elle est poétique... Comment est né ton recueil, les Contes myalgiques ? Plusieurs nouvelles déjà publiées le composent, il comporte aussi des inédits et des poèmes quels sont les thèmes qui unissent tous ces textes ? ND : Ce recueil est né de ma passion pour les mythes et le folklore, bien sûr, mais aussi dun désir de ne plus disperser mes écrits. Jai soumis tout un tas de textes aux éditions Griffe dEncre, et ce sont les directeurs de la collection recueil, Karim Berrouka et Michaël Fontayne, qui ont remarqué que deux thèmes principaux se dégageaient : les contes, et la souffrance. Ils mont proposé de faire deux recueils, le premier plus axé sur les contes, le second rassemblant les textes où la dimension souffrance, physique autant que morale, prend nettement le pas sur la féerie. On verra davantage de diables que de fées, dans le second recueil. Mais même si lensemble se révèlera plus sombre, la lumière nen sera jamais absente. MB : Dans ces textes, au sein des Contes myalgiques j'en suis sûre et dans le second opus, il m'a semblé entendre quelque rumeur à ce propos, les femmes ont la parole. Ce sont elles, surtout, qui vivent, sentent, éprouvent, souffrent. Est-il plus naturel, pour toi d'écrire sur des personnages féminins ? Et si oui, pourquoi ? ND : Etrange remarque que tu me fais là, car il y a en réalité peu de femmes dans mes récits, justement parce que je me sens généralement plus à laise avec les personnages masculins. Jai plus de facilité à me mettre dans la peau dun homme ou dun jeune garçon. Dailleurs je nai pas toujours bien vécu le fait dêtre née fille : cela minterdisait de faire plein de choses et cela minfligeait tout un tas de contraintes et de souffrances récurrentes. Jai si souvent rêvé dêtre un garçon pour être libre que, forcément, ça a laissé des traces. Limpression « féminine » vient probablement de la présence de fées et de divinités (comme la mort, ou la déesse-mère) dans plusieurs de mes récits. Mais il sagit là de personnages qui ne raisonnent pas comme des êtres humains, qui sont davantage des symboles que de vraies personnes. Même si elles « sabaissent » parfois en endossant notre mortalité, elles savent que ce nest quun jeu et quelles conservent le pouvoir. Elles ne sont victimes que parce quelles le veulent bien, le temps dune histoire, dune leçon à donner aux mortels. Au sein de leur éternité, cela ne compte pas vraiment. Alors que pour les êtres humains, hommes ou femmes, les enjeux sont vitaux. Lorsque je donne la parole à une femme, en général elle appartient à la catégorie des rebelles, des révoltées. Lordre établi est toujours mis en péril par ses choix. La veuve hindoue refuse de brûler avec le corps de son défunt mari, comme le voulait pourtant la tradition. La princesse, qui vivait sa sexualité de façon très moderne et libérée, en plein Moyen Âge, et qui se trouve de ce fait abominablement punie par son père, refuse de se laisser briser et décide de rendre coup pour coup, ce qui va déstabiliser le royaume. Mais mes personnages masculins sont, quelque part, de même nature. Ce qui est logique, puisque je parle de souffrance. Et lorsque cette souffrance est causée par une oppression, nest-il pas légitime de vouloir lutter pour regagner sa liberté ? Cest probablement ce qui mobsède le plus que cette quête de liberté. La souffrance est une entrave. On peut sen libérer en lapprivoisant ou en léliminant. Jexplore les deux voies. Dans tous les cas, la libération est une sublimation. Quand je dis oppression, jenglobe aussi le poids des préjugés et tout ce qui amène des êtres humains à devenir ou se sentir exclus. Mes textes incitent à ne pas juger en fonction des seules apparences, celles-ci peuvent se révéler trompeuses. Ils montrent des gens en marge, montrés du doigt pour tout un tas de raisons. Des gens qui se savent différents et auxquels la masse fait grief de cette différence. Ou bien des gens contraints de simuler et de se trahir eux-mêmes pour ne pas dépasser, ne pas sexposer au rejet des autres. Dans tous les cas, la souffrance est terrible, et assortie de rage plus ou moins exprimée. Mais il faut que ça sorte, alors jécris par empathie. Jécris sur linjustice, quelle soit flagrante ou soigneusement cachée, actuelle ou oubliée de presque tous. Je donne la parole à des femmes, à des hommes, à des enfants, à des vieillards peu importe qui ils sont, du moment quils sont en souffrance et que linjustice de leur situation me bouleverse. En fait, en rédigeant cette réponse, je prends conscience quen écrivant toutes ces histoires, je suis doublement mère de mes personnages. Je suis celle qui leur donne vie sur le papier, mais aussi celle qui les prends dans ses bras et leur donne amour et réconfort, promesse de lendemains meilleurs, même si cela passe dabord par la souffrance ultime et/ou la mort, parce que je suis capable de leur offrir une autre vie par le pouvoir de mon imaginaire. On dit que les auteurs projettent souvent une part deux-mêmes dans leurs récits. Je le reconnais bien volontiers. Rien nest autobiographique (même si je mappuie parfois sur des histoires vraies), mais tout est nourri par des émotions vécues. Je vis mille vies au travers de mes propres histoires, jenvoie mes personnages en quêtes de ces réponses existentielles qui me hantent (comme elles hantent nombre dentre nous). Et puisque aucune réponse nest définitive ni satisfaisante, je ne peux arrêter décrire. MB : La poésie est très présente au sein de tes écrits : dans la langue, dabord, très musicale, de tes textes, mais également à travers des poèmes, des chansons. Comment naissent de tels mélanges ? Sont-ils insérés « délibérément » dans tes nouvelles, ou y trouvent-ils naturellement leur place, parce que cétait là « le juste moment » ou « la juste expression » ? ND : Ils simposent deux-mêmes. Chaque histoire déroule pour moi sa musique personnelle, tout comme elle oriente mon choix de vocabulaire par ses couleurs et ses senteurs. Jai vraiment besoin dentrer dedans, de placer mon esprit en situation, de ressentir à tous niveaux, pour pouvoir écrire. Je vis dans ma tête une histoire en trois dimensions, sonore, odorante, tactile, visuelle. Choisir de quelle façon la raconter, cest décider de langle sous lequel je vais placer ma caméra afin de rapporter, au lecteur, ce souvenir de mes voyages intérieurs quest la narration. Alors parfois, oui, cette narration bascule dans la poésie, parce quon se trouve à un moment de lhistoire où lon est au-delà du discours, de la relation, de la description. On est dans lémotion pure, la puissance évocatrice, presque le mysticisme, et surtout au plus intime du récit. Ce nest pas moi qui mexprime par vers, dans La Femme, la Sorcière et lAmour, mais bien le prince. Et ce quil livre de lui au travers de ce poème, aucun autre personnage de lhistoire nen a pris connaissance (sauf peut-être la femme et la sorcière, grâce à la magie). Cest vraiment le chant de son âme affligée. Cest probablement aussi un reflet de mon mode de fonctionnement. Généralement, jécris en prose lorsque je vais bien, et jexorcise mes chagrins les plus secrets au travers de la poésie, parce que celle-ci me permet dêtre moins limpide, de donner lémotion sans donner les explications. Ce sont mes moments les moins rationnels, pourrait-on dire. Les moins analysés. Les plus spontanés. MB : Jai cru également comprendre que la musique comptait énormément pour toi la preuve en est, le violon est le personnage principal, dune certaine manière de ta nouvelle Le violon de la fée (prix Merlin 2006). Doù vient cet intérêt ? Et écris-tu en musique ou dans le silence le plus total ? ND : Je viens dune famille qui compte beaucoup de musiciens. Le Violon de la Fée sappuie sur des faits réels : mon arrière-grand-père, qui jouait du violon et écrivait des poèmes en langue italienne, a vraiment perdu ses doigts dans les aciéries de Lorraine, et il a vraiment réussi à apprendre à jouer du violon de lautre main, après son accident. Son neveu Dante a vraiment été premier violon à lopéra de Nice. La sur de ma mère était professeur de piano. Moi-même jai pratiqué le chant classique, pendant deux ans, au Conservatoire dAntibes. Toute la famille écoute beaucoup de musique et chante à la moindre occasion. Dans les moments difficiles, on se réfugie dans la musique, on évacue en écoutant nos morceaux préférés. Jai dailleurs plus de facilité à chanter des chansons à mes enfants, le soir, quà leur raconter des histoires. Pour écrire, je dirais que cela dépend. Pour certains textes, jai besoin dun silence total. Pour dautres, je mimmerge dans une play list dont lambiance correspond à celle de lhistoire. Certaines musiques ou chansons me parlent tant que ce sont elles qui font naître en moi un besoin décrire une histoire spécifique. MB : Certaines de tes nouvelles sont très dures, très crues : il est question donanisme et dinceste dans Lucine, de SDF et de dictature dans Demain les trottoirs. Avec ces nouvelles, particulièrement avec la seconde dont le titre, jimagine allusion à Demain les chiens est particulièrement bien trouvé tu jettes à bas les clichés et sempiternels poncifs sur les gentils mendiants et les enfants angéliques, détournant La petite fille aux allumettes pour en faire un « petit garçon aux ailes de fées » particulièrement égoïste, revanchard humain en quelque sorte. Quelle est la genèse de cette nouvelle ? ND : Eh bien en fait, tout a commencé à cause de Jean Millemann, lorsque celui-ci ma proposé de figurer au sommaire de son anthologie Pouvoirs Critiques (parue en 2002 aux éditions Nestiveqnen). Jai dabord eu lidée de retravailler un ancien texte, « Terra Amata », qui est celui qui a été publié. Mais en parallèle, et parce que jhabitais alors à Cannes et que je déambulais sur les trottoirs avec mes bébés dans une poussette, ce qui mamenait souvent à pester contre les trottoirs particulièrement crottés par nos amis les chiens, jai commencé à fantasmer sur des trottoirs intelligents et autonettoyants. Lennui cest que toute personne se penchant sur le problème des déjections canines sur les trottoirs municipaux en arrive forcément à conclure que les vrais responsables ne sont pas les chiens, mais les maîtres. La pub le disait bien : « apprenez-lui le caniveau ». Donc si des trottoirs intelligents parvenaient un jour à la même conclusion que se passerait-il ? Le reste sest mis en place petit à petit, et jai finalement écrit « Demain les Trottoirs » fin 2006. Les trottoirs, les caniveaux ça mévoquait irrésistiblement la Chanson de lEau de Jacques Prévert, que javais apprise à lécole primaire, et particulièrement mémorisée parce que les parents dune de mes tantes habitaient Aubervilliers. La condition des SDF cest un sujet qui me touche et que jai abordé à plusieurs reprises. Surtout après des rencontres marquantes, et un hiver particulièrement froid. MB : Le 31 octobre aurait dû paraître au sein dArgemmios, ta maison dédition, Les débris du chaudron, réédition revue et augmentée dun de tes écrits. Quy aura-t-il dans ce mystérieux chaudron brisé qui finalement sortira en février 2008 ? Pourquoi paraîtra-t-il le précisément premier février et pas, je ne sais pas, moi, le 29 ? ND : Jaurais aimé le 31 octobre qui a une valeur symbolique : cest Samain, le nouvel an du vieux calendrier celtique, donc une date parfaitement en harmonie avec « Les Débris du Chaudron » qui se nourrit de mythologie galloise. Mais il restait trop de travail et je nai pas pu tenir ce délai. Alors jai décidé de reporter la parution à une autre date symbolique : le 1er février, cest-à-dire Imbolc. Ce nest pas toujours évident de passer du format nouvelle ou novella au format roman. Outre mon style qui a évolué, le recul et le travail de direction littéraire effectué par Jean Millemann qui mont fait prendre conscience de quelques maladresses de jeunesse, il y a un réel changement de rythme. Des scènes inédites ont été ajoutées, des passages traités trop rapidement jadis ont été développés, voire complètement remaniés. Il y aura une préface signée Lucie Chenu et, à la fin, deux poèmes rattachés à lhistoire principale, ainsi quun glossaire (pour éviter dalourdir la narration avec trop de notes explicatives). Et puis il y aura les illustrations de Magali Villeneuve, qui sont vraiment de toute beauté. MB : J'attends donc avec impatience Imbolc... Dis-moi, jai limpression et je crois ne pas trop me tromper sur ce point que tu illustres toujours ce que tu écris. Pourquoi ? ND : Je nillustre jamais moi-même, je nai pas le talent pour ça, mais jai souvent des visions très précises des illustrations qui sauraient au mieux compléter le texte. Ce nest pas toujours possible den disposer, malheureusement. Les éditeurs ne sont pas très friands dillustrations intérieures, probablement parce que cela revient très cher et cela majore dautant le prix du livre. Mais jai toujours adoré les livres qui en comportent, particulièrement les gravures comme celles de Gustave Doré. Javoue quavec les Débris du Chaudron et les illustrations de Magali Villeneuve, je me fais plaisir et jespère que cela plaira aussi à mes futurs lecteurs. Comme je ne me paie aucun droit dauteur, cela me permet de financer les illustrations sans que le prix du livre en soit trop affecté. Cest lavantage dêtre le maître duvre, pour cet ouvrage-ci. Je me sens un peu comme ces acteurs qui passent parfois de lautre côté de la caméra et deviennent réalisateurs, cest très excitant, et très angoissant en même temps. Pourquoi est-ce si important pour moi, les illustrations ? Eh bien durant la phase de maturation qui précède la rédaction, je visualise tout dans ma tête. Je me projette vraiment dans un autre monde : celui du récit. Je mimmerge dedans et ensuite, avec mes mots, jessaie den retranscrire les images, les couleurs, les odeurs, les saveurs, les textures, les sons Mais je sais que ce sera toujours imparfait, quil existera toujours un biais. Limage (et parfois la musique) permet de réduire ce biais, même si cela peut sembler quelque peu tyrannique de ma part de vouloir à ce point imposer ma vision au lecteur. Sauf que ce nest pas par tyrannie, mais par souci dexactitude. Pour certains textes, ce nest pas important, je ne me soucie pas du biais. Mais je sais, pour lavoir testé, quen ce qui concerne un de mes personnages, avec lequel jai un lien viscéral, le biais mest vraiment douloureux. MB : Argemmios, le nom de ta maison dédition, est lié à ton univers romanesque, celui des Mages bleus. Mon petit chat ma dit quil sagissait dune immense fresque de fantasy, en cours décriture Accepterais-tu den dévoiler quelques pans pour nos lecteurs ? ND : Cela se passe sur un monde secondaire qui diffère du nôtre essentiellement par son rapport à la mort et, par conséquent, à la vie. Jai tenté de construire des sociétés cohérentes, des religions cohérentes, des querelles cohérentes, et surtout des personnages à la psychologie aussi vraisemblable, complexe et intéressante que possible. Je ne cesse de minterroger sur les causes de leurs actions et réactions, de leurs choix, tout ce qui va contribuer à bâtir leur existence et façonner leur destinée. Que dire dautre ? La magie existe mais nest pas équitablement répartie au sein de la population, et surtout elle est une force intérieure quil faut apprendre à contrôler. Pas de recettes ni de formules ni dingrédients, globalement (il y a toujours lexception des invocations). Tout est énergie et/ou matière, et lune des problématiques principales est : comment vivre incarné, et apprécier la pesanteur et les contraintes qui vont avec, quand on sait que lincarnation est la conséquence dune punition infligée à des entités qui étaient pure énergie ? Au sein de cet univers romanesque, les argemmios sont des cristaux magiques très rares, parfaitement dénombrés, qui ne sont pas dorigine naturelle. La meilleure théorie quant à leur nature, cest celle qui voit en eux la cristallisation dune énergie supérieure. Ils sont détenus exclusivement par les servants suprêmes de chaque Ordre mystique, auxquels ils servent de focus et de vecteur. Le monde compte douze argemmios, puisquil existe douze Ordres. Et puis un jour, une énigme ambiguë annoncera quun treizième argemmios est destiné à apparaître, ce qui suscitera à la fois le trouble et la convoitise, et des plans sur le très long terme. MB : Argemmios, cest aussi un univers, un univers que tu partages avec dautres auteurs En fait, tu es lune des seules auteures voire la seule que je connaisse, en France, à pratiquer ce système A savoir, permettre à dautres écrivains (en herbe ou non) de participer à la vie dun monde qui nest pas le leur, les aider à trouver leur style, les encourager. Marion Zimmer Bradley le faisait, Mercedes Lackey pratique également ce système qui sapparente presque, aux USA, à du parrainage. Quest-ce qui ta poussé à franchir le pas ? Pourquoi ? ND : Cest justement lexemple de Marion Zimmer Bradley qui a fait naître en moi ce rêve de partage, ou plus exactement qui ma permis de croire que ce rêve pourrait peut-être se concrétiser un jour. Ce qui me motive ? Une soif inaltérable dêtre aimée au travers de mes personnages. La peur que tout sachève pour eux le jour où je ne serai plus là. Je nai pas encore osé les lâcher dans la nature (ce qui explique pourquoi cette fresque romanesque demeure inédite), mais je sais que le jour où je le ferai, ils vivront en dehors de moi, car ils vivront dans limaginaire de ceux qui les rencontreront. Et rien ne me ferait plus plaisir que de susciter des fanfictions. Je nen ai jamais vraiment écrites moi-même mais, lorsque jétais petite, après une lecture ou un film mayant marquée, je ne pouvais mempêcher de me réapproprier lhistoire et lunivers de ce livre ou de ce film, et de faire vivre dautres aventures aux personnages, voire de devenir un personnage moi-même. En vérité, je nai jamais tout à fait arrêté. Et jy ai pris, jy prends toujours tant de plaisir que jai envie de laisser aux autres un libre accès à mes propres univers. Ce serait trop bête que les gens se censurent faute de savoir que lauteur est daccord. Alors je préfère dire dentrée de jeu que je suis daccord dans la mesure où le respect reste de mise. Il ne sagit pas de faire nimporte quoi, comme de complètement transformer le tempérament dun personnage. Il faut rester crédible et suivre les pistes amorcées, bien évidemment. Quand on crée un monde secondaire, on na pas assez dune vie pour lexplorer. A plusieurs, parfois, on peut aller plus loin. Et jéprouve cette envie-là. Mais rien nassure que tout ceci se concrétisera. MB : Argemmios, enfin, cest depuis peu une maison dédition. Quest-ce qui ta poussée à prendre le risque de devenir éditrice dans la conjoncture actuelle ? ND : Simplement ce que jévoquais précédemment : lenvie de devenir le maître duvre pour certains ouvrages un peu particuliers, afin de réaliser des livres tels que je les imagine. Lenvie aussi de publier des textes qui me touchent, qui ont une réelle valeur intrinsèque, mais que le marché actuel dédaigne parce que ces textes ne sont pas assez « commerciaux ». Cela peut certainement sembler naïf mais gagner de largent nest pas ma motivation principale. Si cela arrive, tant mieux, car cela signifiera que suffisamment de lecteurs mauront suivie dans mes choix éditoriaux. Mais ce qui me pousse cest avant tout un bête idéalisme. MB : Quelle est la ligne éditoriale dArgemmios ? ND : « Mythes, contes et légendes de tous les temps, même ceux qui restent à venir, quils soient dombre ou de lumière, de prose et parfois de rimes ». Pour développer un peu, je dirai : des textes qui font rêver (ou cauchemarder), qui sont forts, suscitent une émotion, sancrent dans linconscient collectif, se nourrissent des mythes et du folklore afin de permettre aux êtres oniriques de vivre de nouvelles histoires. Des textes possédant une puissance évocatrice. Des plumes ciselées, incisives, stylées, identifiables. Des textes qui procurent une jouissance tant par leur fond que par leur forme. Des textes qui osent aller plus loin. Et pour les textes jeunesse : quils ne prennent pas les enfants pour des idiots, quils ne les traumatisent pas non plus. Quils sachent les faire rêver et réfléchir. MB : Outre des romans, tu prévois des anthologies thématiques et mythologiques. Doù vient cet intérêt pour le «légendaire » ? ND : Jai grandi à une époque où les mythologies figuraient au programme scolaire, où lon offrait aux enfants des livres « Contes et légendes de » des éditions Nathan, et où lon trouvait dans les kiosques une superbe revue intitulée « Si tout métait conté ». Et puis jhabitais dans la zone de diffusion de TMC. Le seul soir de la semaine où je pouvais regarder la télévision, cétait le mardi soir, et ces soirs-là, les films étaient toujours de cape et dépée, ou de péplum et de glaive. MB : As-tu déjà prévu un planning de parution pour les deux prochaines années ? ND : Jai les grandes lignes mais comme tous ceux qui travaillent bénévolement pour les éditions Argemmios ont un emploi à côté (même moi), on ne peut pas se montrer trop psychorigide. Je préfère attendre quun titre soit parfaitement finalisé avant den lancer la fabrication, plutôt que dêtre prise à la gorge par des délais trop serrés, et de pleurer ensuite parce que le résultat nest pas impeccable. MB : Pour en revenir à des préoccupations plus littéraires, peux-tu développer les thèmes principaux qui constitueront le second opus des Contes Myalgiques ? ND : Le second volume des Contes Myalgiques sera encore plus axé sur la souffrance, et les récits qui le composent se passeront davantage à lépoque contemporaine. Plutôt que des fées, on rencontrera des loas, des démons, des créatures plus chtoniennes quouraniennes. Les textes flirteront plus avec le fantastique que la fantasy, et les ambiances seront globalement plus sombres. Plus morbides. Après les terres qui rêvent, dans le premier opus, on croisera dans le second le spectre de lenfer. MB : Enfin, pour conclure Quelle est la question à laquelle tu ne voudrais absolument pas répondre ? ND : Je ne sais pas. Et si je le savais, je ne te le dirais certainement pas, sinon quelquun serait bien capable de me la poser un jour et de me harceler jusquà obtenir cette fichue réponse ! MB : Merci, Nathalie, davoir répondu à cette interview-fleuve ! Meredith Blixen Site : http://www.argemmios.com
Ecrite par , le 14 Janvier 2008 à 12:01 dans la rubrique .
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