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Bordage, Pierre |
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Bordage, Pierre
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Interview de Pierre Bordage recueillie par Bibirox Bibirox : Bonjour Pierre Bordage et merci davoir accepté cet entretien. Rentrons si tu le veux bien dans le vif du sujet. Avec LAnge de lAbîme, tu signes peut-être ton roman le plus sombre, le plus pessimiste. Doù te vient ce goût pour les histoires sombres ? Peut-on dire que cela suit une logique, dans ta carrière décrivain ? Une maturation de ton positionnement dans lhorizon S-F ? Pierre Bordage : Deux réponses : 1) Les circonstances de lécriture du roman. Il ma été inspiré, non pas par le 11 septembre 2001, mais par les réactions au 11 septembre. Au lieu de sinterroger sur les causes du déséquilibre mondial, lOccident, par ses représentants les plus agressifs légitimés par lattentat qui plus est ont désigné un axe du mal, une culture du mal, une religion du mal. Ils ont appelé à une nouvelle croisade au nom de leur Dieu, le dieu des chrétiens, réveillant de vieux réflexes organiques, de vieux démons à peine retournés dans leur tanière. En tant quauteur danticipation, jai pris la liberté de mener la croisade, et jai abouti à une guerre terrible entre deux grandes religions monothéistes sur le sol européen. À la destruction, à la souffrance donc. Doù cette vision sombre, pessimiste. 2) Cest le propre des héros que de se mettre en quête pour rétablir lharmonie ou léquilibre dans leur monde. Le héros part donc dun environnement en souffrance, symbolisé dans le Graal par la blessure du roi et le dépérissement du royaume. Ulysse ne séloigne pas dIthaque pour faire une croisière sur la Méditerranée, mais bel et bien parce quil participe à une guerre. On pourrait multiplier les exemples. Je ne fais que minscrire dans une longue tradition de conteurs qui se servent des souffrances du monde pour mieux contraindre leurs personnages à se lancer dans laventure. Il ny a pas de logique ou de plan de carrière là-dedans, seulement le contexte dun roman qui se met en place. Si un roman nécessite un autre contexte, cela ne me posera pas le moindre problème de conscience. De même, je me fiche comme de ma première page de mon positionnement dans lhorizon de la SF, je me consacre aux livres qui me traversent, point. B : Les héros de tes romans sont souvent confrontés à des situations qui les amènent à évoluer, à se transformer. Est-ce à dire que le malheur constitue le ferment des héros ? PB : Cette question rejoint la réponse précédente. Encore une fois, seul le déséquilibre ou le vide peuvent mettre les héros en mouvement. Sinon, les bougres, ils ne bougeraient pas le petit doigt ! Pour accepter le changement, la métamorphose, la souffrance, les épreuves, il faut que quelque chose, la nécessité ou les circonstances, vous y pousse. Il me semble dailleurs quon pourrait étendre cette réflexion à lhumanité toute entière : elle navance que sous le coup du déséquilibre ou de la contrainte. Elle cherche alors peut-être à retrouver lÉden des premiers temps, cette unité primordiale perdue, ce rapport privilégié avec son environnement. Comme vous le dites abruptement, le malheur constitue le ferment de lhéroïsme. B : Dans LEvangile du Serpent et LAnge de labîme, tu tes détaché de la S-F pure. On est plutôt dans le roman danticipation. Cela veut-il dire que tu te prédestines à la littérature blanche. PB : Un, lanticipation, que je sache, est une branche de la SF. On ne compte pas les chefs duvre de SF qui sont des uvres danticipation : Le meilleur des mondes, 1984, etc Si jai besoin de lanticipation pour étudier une évolution plausible ou simplement possible de notre présent, je lutilise sans me poser de question. Je ne me prédestine donc à rien du tout ou je ne connais pas les termes de la prédestinée , ni à la littérature blanche ni à une autre forme de littérature, jécris les livres qui me traversent, quils se passent dans le présent, dans le passé ou dans le futur. B : Faire selon une nécessité intérieure plutôt que selon les attentes des lecteurs, cest un risque, mais cest aussi la meilleure manière déviter dêtre enfermé dans une catégorie PB : Je nai pas la sensation de prendre un risque. Je me vois mal écrire les romans sans être guidé par une nécessité intérieure. Lécriture est un exercice tellement exigeant, tellement déstabilisant, que je ne tiendrais pas le coup si je navais pas le secret espoir de changer le monde (en toute simplicité). De même je ne cherche pas à être enfermé dans une catégorie ou à me libérer dune catégorie. Le jeu commercial veut que les livres soient classés dans telle ou telle catégorie, mais à lintérieur, je ne sens ni cloison ni limite. Lécriture est un domaine de liberté absolue, intime, pourquoi chercher à la mettre en prison ? B : Une fois de plus la religion a une place centrale dans lhistoire. Mais lon repère un antagonisme entre dun côté les pouvoirs religieux instaurés et lindividu isolé qui lui détient une véritable conscience spirituelle. Peux-tu nous en dire plus ? PB : Un système religieux quel quil soit est pour moi une construction objectivée, un objet, et donc implique une séparation, exactement le contraire de létymologie du mot religion, relier. Le pouvoir religieux nest quun pouvoir comme les autres dans le champ de la matière et dont le propos est de contrôler lêtre humain, le maintenir dans un système de croyances et de dogmes, justifier donc par tous les moyens sa propre existence. Le véritable élan spirituel, lui, se base uniquement sur lexpérience directe et vise à sortir lêtre humain de la prison de lespace temps, le ramener à sa véritable nature, qui est pour moi celle du créateur. Une petite citation de Silesius, mystique chrétien du XVIIIème siècle, vaudra mieux quun long discours : « Homme si tu libères ton esprit de lespace et du temps, tu peux à chaque instant être dans léternel ». Ou encore : « Tu nes pas dans lespace, cest lespace qui est en toi ». Quelle religion emmène ses adeptes dans lespace intérieur ? Il faudrait pour cela quelle accepte de seffacer, de disparaître. B : Si lon devait caractériser en deux mots ton inspiration philosophique, on nommerait la philosophie orientale dun côté, et lhumanisme de lautre. Pourtant, ces deux traditions ont des origines radicalement différentes. Jusquà quel point peut-on les concilier selon toi ? PB : Ah que oui ! Si on sintéresse à lhumanité, à la matière humaine, on ne peut que chercher à lui éviter cette souffrance qui semble son lot perpétuel. Comment faire ? On peut essayer dans la champ de la matière, le champ objectif, le combat, la lutte, comme lont tenté les révolutionnaires français ou les communistes, mais on constate que la souffrance est toujours là, que lhistoire, quon essaie de nous vendre comme un devoir de mémoire, napporte aucune amélioration, que les mécanismes anciens se mettent toujours en mouvement. On se tourne alors vers les philosophies, orientales ou autres, vers les très anciennes traditions, on y cherche des réponses, on les applique avec sincérité. On peut aussi les concilier toutes deux : agir dans le champ de la matière et dans celui de lesprit. Mais je crois de plus en plus que lesprit est lessentiel, que lespace est intérieur, subjectif, que, sans la vision pénétrante dont parle Krishnamurti, les différentes démarches pour sortir lhumanité de ses ornières sont vouées à léchec, à léternel recommencement. B : Vaï Kai est un héritier de la tradition shamanique. Mais cest aussi le représentant du Christ. Cela fait de lui un étranger (le récit se déroule en Europe), mais aussi celui que tout le monde attend, le Sauveur. Cest donc un personnage ambivalent. Quest-ce que cela apporte selon toi au roman ? PB : Dabord le fait que Vaï Kai ne soit pas de tradition occidentale oblige ses interlocuteurs à bousculer leurs schémas de pensées, donc de créer une ouverture. Ensuite il nest pas le représentant du Christ, il est le Christ, comme, je le pense, chacun dentre nous. Cest à dire quil a la capacité, en tant quhomme, datteindre létat divin, la fusion avec le Père. Il ne se présente pas en tant que sauveur, de celui qui rachète tous les péchés de lhumanité, mais en tant que grand frère, celui qui ouvre la voie. Les peuples premiers, souvent méprisés, souvent spoliés, parfois détruits, ont beaucoup de choses à nous apprendre sur le plan de lexpérience, de la perception directe, de la subjectivité. C'est sans doute le principal apport de Vaï Kai au roman, cette invitation lancée aux hommes de replonger dans leur Soi, de jeter au feu ces substituts médiocres, et parfois terrifiants, que sont les croyances, les dogmes. B : Des évangélistes, des archanges, est-ce que le jeu de rôle In Nomine Satanis et Magnas Veritas ta influencé dans ton écriture ? PB : Pas du tout. Jai joué une fois au jeu de Vampire, lors dune convention de jeux de rôles à Orléans. Ça ne ma pas déplu, mais, avec les romans, je joue déjà en permanence avec des personnages. B : LEvangile du Serpent sera-t-il adapté au cinéma ? Est-ce que tu toccuperas de la novélisation ? PB : Ladaptation est en bonne voie. En aucun cas je ne ferai la novellisation, car le roman est déjà écrit, mais, si le film se monte, je participerai peut-être à la mouture finale du scénario. B : Pour quand est prévu le dernier volet de la trilogie ? PB : Sans doute dans le courant de lannée 2005. Il sagira cette fois dexplorer le cur de lhomme.
Ecrite par , le 06 Avril 2004 à 11:04 dans la rubrique .
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