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Interview de Lilian Bathelot recueillie par Sig. Sig : Vous avez déjà plusieurs romans à votre actif, pouvez-vous nous dresser un panorama de l'ensemble de votre uvre ? Lilian Bathelot : Je touche à tout et j'aime que ça change, dans mon travail comme dans le reste de la vie. Mais j'ai des trucs qui reviennent, sous une forme différente à chaque fois. On dit souvent qu'un auteur écrit toujours le même livre... Disons que je travaille à ce que ça ne se voit pas trop de l'extérieur. (rires) Et je crois que je perds un peu mes lecteurs dans tous ces zigzags. Mais je suis ravi de voir qu'il y a des fidèles qui me suivent malgré mes contre-pieds continuels. Et puis je sais qu'il y a une logique dans ce chaos qui me mène du polar au roman, du théâtre à la SF, de l'histoire d'amour à la tragédie. Mais le fait est que mes titres sont si différents, qu'ils ont chacun leur propre public, sans doute... S : Est-ce la première fois que vous officiez dans le domaine de la science-fiction ? LB : Oui, mais un genre, c'est juste un genre... l'important, c'est la littérature, raconter des histoires pour partager un peu d'humanité, se retrouver dans l'autre, dans son regard, dans ses espoirs, ses colères, ses doutes. L'important c'est de se sentir moins seul, que le livre soit un lien, que soit partagé ce qui loge au profond et qu'on ne sait pas communiquer autrement qu'en inventant ou en lisant des histoires. Raconteur d'histoire est un métier vieux comme le monde. Et nécessaire à l'humanité sans doute... S : Philip K. Dick compte-t-il parmi vos sources d'inspiration et notamment "Minority Report"? Plus globalement avez-vous des modèles, des références littéraires ? LB : J'ai lu les classiques de la SF il y a bien longtemps, avec avidité. K. Dick en fait partie. Mais je ne garde souvenir que du plaisir que j'ai pris dans ces lectures. Les histoires, les styles, je les ai oubliés. Alors, disons que ces livres constituent un peu du fond de mon humanité, dans lequel je puise pour écrire et inventer mes histoires... S : Destiniez-vous cette oeuvre à un public en particulier ? LB : Non. Je ne crois pas au marketing littéraire. Ou plutôt, je sais bien que ces recettes marchent parfois, mais cette approche ne m'intéresse pas le moins du monde. Un livre-produit, fait sur mesure pour tel ou tel public, je trouve ça pitoyable, triste. Et si éloigné de l'idée que je me fais de la littérature, de l'art de raconter une histoire qui soit davantage qu'une histoire, qui aille au-delà du divertissement. Je hais le divertissement et l'industrie qui le fabrique. C'est la vie que j'aime. Vivre pour de vrai, pas par les images en toc que la publicité et du marketing essayent de nous faire gober. S : Pourquoi avoir choisi ce titre en particulier ? LB : Parce qu'il est bon. Non ? (rires...) S : Pourquoi avoir choisi le Groenland comme lieu d'action et le peuple Inuit comme tribu d'appartenance pour Kisimii ? LB : Je voulais parler des cultures premières, de ce qu'elles peuvent nous apporter, des visions du monde dont elles sont riches. Vous savez, les peuples premiers commencent à redresser la tête. Ils retrouvent une certaine autonomie, retrouvent la fierté de leurs racines, de leurs cultures. Les Inuits font partie du nombre. On a beaucoup à apprendre d'eux. Beaucoup. On reconnaît souvent aux africains le sens de la musique, aux aborigènes celui de la peinture par exemple. On fait même des musées des arts premiers. Mais il reste à découvrir les philosophies de ces peuples. Le problème est que les arts premiers sont acceptés par l'occident, en partie, parce qu'on peut en faire commerce, qu'ils peuvent nourrir d'une manière ou d'une autre la civilisation industrielle. En revanche, on ne reconnaît pas les philosophies des nations premières parce qu'elles sont aux antipodes, très souvent fondées sur des valeurs opposées exactement à celles qui fondent la falsification du monde nécessaire à la supercherie du monde moderne. Si les philosophies nous aident à ouvrir les yeux... notre monde s'écroule. Alors, on tâche de les ignorer, de les rejeter dans le sac des visions primitives du monde... Mais les philosophies des Indiens d'Amérique, des Aborigènes d'Australie, des Inuits, et d'autres, nous montrent que d'autres mondes sont possibles. C'est sans doute pour tout cela que j'ai placé une partie de l'intrigue, des personnages, au Groenland. Et puis, cet univers est fascinant. Rien que en regardant les cartes du Groenland, lorsque je préparais ce livre, je partais en voyage. Ce pays est beau, sauvage, incroyable. Il façonne des femmes et des hommes fascinants. Des hommes et des femmes dont l'esprit permettait de vivre dans cet environnement incroyablement difficile depuis des milliers d'années, sans métal, sans textile, sans végétation, sans rien, presque, en mettant à profit des ressources minuscules. Oui, cette culture à beaucoup à nous apprendre... S : Avez-vous du faire des recherches documentaires pointues sur ce pays et ce peuple ou vos connaissances personnelles étaient-elles suffisantes ? Parlez-nous de Kisimiipunga. Pourquoi avoir choisi une femme comme héroïne ? Pourriez-vous dire à l'instar de Flaubert que Kisimiipunga c'est vous ? LB : Si on veut que les personnages aient une épaisseur, on ne peut puiser que dans notre propre matière humaine pour la leur donner, cette épaisseur. Si on ne les nourrit pas de nous même, ils restent des personnages de carton-pâte qui ne nous touchent pas. Alors, oui, qu'ils soient masculins ou féminin, Inuits ou affairistes de la City, on doit bien les nourrir de nous-mêmes, ces personnages, de nos émotions, de notre façon d'être humain et de notre manière personnelle de nous débrouiller de cette condition pas facile... Je me rends compte que j'ai écrit à peu près la moitié de mes romans au féminin, ou en suivant le point de vue d'un personnage féminin. Cela me vient naturellement. Je crois que certaines qualités comme certains défauts, enfin, certaines caractéristiques humaines je veux dire, sont plutôt masculines ou féminines. Mais on les retrouve sous une forme ou sous une autre chez tous les humains, les hommes comme chez les femmes dans des proportions variables pour chaque individu. Alors, oui ; Kisimii, c'est un peu moi. Mais Knud aussi, Diaz... et même La Gauffre. Où trouver ailleurs qu'en moi la matière qui les rends vrais, crédibles, humains ?... S : Pourquoi avoir nommé un de vos personnages, et surtout un officier supérieur, La Gauffre ? Cela ne lui ôte-t-il pas un poil de crédibilité ? LB : Vous croyez qu'un jeune officier qui s'appelle de Gaulle et qui devient président de la République, c'est crédible ? Et pourtant... S : Pourquoi avoir opté pour cette opposition zone franche/zone sécurisée ? traditions/technologie ? LB : L'opposition est à mon sens un peu plus compliquée que cela. Il ne s'agit pas d'opposer les cultures traditionnelles et la technologie. L'événement majeur que je décris dans le livre, et que j'espère vraiment voir apparaître dans la réalité, c'est la naissance d'un autre usage de la technologie. Un usage de la technologie où ce ne sont ni les objets techniques, ni le sacro-saint commerce qui en est fait, ni le dieu Profit qui en découlent qui mèneraient le monde. Mais où ce serait simplement des valeurs philosophiques centrées sur l'homme, sur sa place dans l'harmonie de la terre, qui guideraient l'usage de la technologie. De ce point de vue là, nous avons beaucoup à apprendre des cultures premières... Laisser le profit et l'avidité de pouvoir mener le monde est suicidaire quand la technologie est aussi puissante que celle qu'on connaît. Et je crois que les solutions pour y échapper ne sont pas à chercher dans des spéculations sur l'avenir, mais au contraire en regardant en arrière. En écoutant la pensée des peuples qui ont été laminés, et qui pourtant, sont en train de relever la tête, de retrouver leur dignité, de revendiquer leur conception du monde. Ecoutons-les. Ecoutons vraiment ce qu'ils nous disent. Ils ont tant à nous apprendre. S : Avez-vous eu plus recours à votre imagination, vos connaissances ou à de la documentation concernant la description des parties plus techniques (matériel scientifique, mode de déplacement etc.) ? LB : Je n'ai, malheureusement, pas eu besoin d'imagination pour dépeindre ce monde peu enviable côté "Zones sécurisées". Toutes les techniques, ainsi que tous les objets (à l'exception évidente de la découverte de Kisimii...) ne sont que le prolongement de choses qui existent déjà, au moins à l'état de prototype. Les inventions ne sont pas anodines, et elles conditionnent sans qu'on s'en rende compte le monde de demain. Le chemin de fer a conditionné le monde du XIXème siècle et le début du vingtième, l'automobile personnelle et le transport aérien la fin du XXème, l'ordinateur personnel, les réseaux de communication et l'usage en routine des données satellites, qui structurent le monde où nous vivons donnent des indications précises sur le monde de demain. J'ai juste fait une petite extrapolation, minuscule en réalité. Et je crains bien que l'histoire aille demain bien plus vite que mon imagination d'aujourd'hui pour conférer à la technologie un pouvoir sur les humains, sur leur liberté, bien supérieur à celui que je décris... S : Selon vous est-il exact de penser qu'il y a certaines prises de position, un parti pris dans votre ouvrage (réflexion menée par Damien à propos du racisme par exemple à la page 121) ? LB : Oui, oui, il y a des prises de positions, même si je pars surtout d'un constat, et si le fait de placer l'histoire dans l'avenir est juste le prétexte à forcer le trait, à prendre du recul pour montrer ce que notre monde est déjà aujourd'hui... Je crois que le plaisir de lire un livre est avant tout celui de découvrir une histoire, et aussi mon premier souci est le plaisir du lecteur, je peaufine l'intrigue, le rythme, le suspens et les rebondissements. Mais cela n'exclut pas le fait de donner aussi à penser, à réfléchir... Sans jamais prendre la posture du donneur de leçon. S : Pourquoi avoir recours à autant d'abréviations ( polyv', Dam', cyrobs etc. ) LB : Là aussi, c'est un constat. L'usage va toujours dans ce sens : réfrigérateur est vite devenu "frigo", voiture automobile s'est concentré en "auto", Word wide web donne "web", sans parler des PC, GPS, i-pod... etc. Là aussi, c'est juste une tendance réelle que je prends simplement en compte pour décrire le monde... S : Pourriez-vous expliquer plus en détail le concept du "Uumajuit : ceux qui sont vivants" dont on trouve la citation aux pages 139 et 178 ? LB : Ce serait un peu réducteur de le faire en quelques lignes. Uumajuit désigne pour les Inuits l'ensemble de "ceux qui sont vivants", c'est une idée, un concept. Bien peu de philosophes se sont attachés à comprendre la philosophie des nations premières. Pourtant, ce sont bien des concepts philosophiques, au sens le plus plein du terme, qui fondent leurs civilisations, leurs façons de vivre. Je ne veux pas donner de leçon de philo dans C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc (je dois confesser avoir effectivement étudié, et même enseigné la philosophie durant cinq ans à des classes terminales, il y a bien longtemps, mais il y a prescription maintenant...), pas de leçon de philo donc, juste l'envie de raconter une histoire, mais cela n'empêche pas de souligner un fait important : les nations premières ont une philosophie. Une vraie philosophie qui ne vaut pas moins que la notre. Et, selon moi, bien davantage, même... Les peuples premiers ne sont pas tout juste bons à faire de la musique, de la peinture, à fabriquer de beaux objets, mais ils pensent. Et leur pensée est pleine de justesse, d'enseignements riches, féconds. Alors, l'Uumajuit, pour faire vite, "ceux qui sont vivants", c'est un concept qui place d'emblée l'homme parmi les autres créatures vivantes de qui il dépend pour vivre. Bien entendu, dans cette pensée, l'homme a un statut particulier par rapport au phoque ou aux poissons. Mais il leur est lié par un lien plus fort que la simple dépendance, même s'il est évident que la survie de l'homme, sur les toundras glaciaires comme sur l'ensemble de la planète Terre, est liée aux autres vivants, animaux et végétaux. Sans l'Uumajuit, "Ceux qui sont vivants", il n'y a pas de place pour l'homme. Mais l'idée de Uumajuit va au delà de cette dépendance physique de l'humanité. C'est surtout l'affirmation d'une communauté de destin entre tous les vivants dans leur ensemble. Une communauté de destin, et une même nature au fond, qui impose un respect profond pour tous "ceux qui sont vivants". On pourrait dire que c'est une vision éminemment écologique du monde, mais ce serait bien trop réducteur, car il y a surtout une dimension spirituelle dans ce concept. Le sentiment de faire partie d'un grand tout, sentiment dont on tire fierté et grandeur. Oui, la fierté et la grandeur ne viennent pas de la domination (même s'il faut bien chasser, tuer, cueillir pour vivre) mais du sentiment de faire partie d'un tout et d'y avoir une place particulière, un rôle. N'avons-nous pas beaucoup à apprendre, en tant qu'homme, de pensées aussi fortes ? S : La fin du roman est, quand même, très ouverte, cela est-il annonciateur d'une suite ? LB : Yes, Dam'. Cet univers a assez d'énergie pour abriter d'autres histoires, au plutôt les prolongements de cette histoire. Nous retrouverons Kisimii, et les Nations Premières pour les prolongements de l'Esquive... Le livre est en préparation, il sera toujours au Navire en pleine ville évidemment - quel éditeur génial ! S : Sans rien dévoiler à nos lecteurs pourquoi avoir voulu une fin si romantique ? Est-elle en accord avec Kisimii ? LB : C'est surtout une fin poignante, où les sentiments les plus forts se mêlent. Et il y a un côté très romantique, oui. Un joie immense qui s'emmêle à un déchirement à la même démesure et à une autre émotion encore, moins identifiable mais pas moins profonde. Quelque chose de fort qui nous rappelle à cette nature d'humain que l'on partage, et dont il faut bien que l'on se débrouille... J'aime beaucoup cette fin, pour tout dire ! S : Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ? Quelle en serait la réponse ? LB : Eh bien vous avez été parfaite ! (rires) Juste un point. J'étais ce week-end à la Comédie du livre (la grand-messe du livre de Montpellier) où j'étais invité à une table-ronde pour parler de L'Inuit. Nous étions quatre auteurs autour de cette table ronde, et nous avons parlé de nos livres. Au bout d'un moment, je me suis rendu compte de ce qu'il y avait de singulier dans cette rencontre, et qui ne m'avait pas sauté aux yeux jusque-là... Ce n'était pas une table-ronde de littérature "jeunesse" ! Il n'y a même jamais eu le moindre mot de la part de l'animateur (Michel Georguieff, excellent comme d'habitude) qui laisse à penser que l'Inuit soit spécialement destiné aux jeunes... (les trois autres livres présentés n'avaient rien de "jeunesse"... ) On parlait de l'Inuit de la même manière. Je crois même que l'animateur n'avait pas percuté que le livre était paru dans une collection jeunesse, car rien d'évident ne l'indique sur la couverture. Me rendant compte de cela, j'ai été vraiment ravi. Car si ce livre peut effectivement être lu dès l'adolescence, et s'il a été écrit en pensant à cela, il est en réalité un livre "tout public", qui peut être lu à tout âge sans se poser de question. Et je me suis souvenu que les livres que j'ai le plus aimé quand j'étais adolescent, ce n'était pas les livres écrits spécialement "pour les ados", et qui tombent des mains des adultes qui tenteraient de les lire, mais ceux qui sont vraiment écrits pour tous les publics, comme ceux de Jack London, par exemple, que j'avais aimé par dessus tout. Alors, et sans avoir la moindre intention de rapprocher mon modeste travail des illustres talents qui ont fait vibrer le jeune lecteur que j'étais à l'époque, j'ai grand plaisir à constater que l'on peut parler de ce livre sans nécessairement mentionner son appartenance "jeunesse", même dans un débat de littérature "générale". Oui, un grand plaisir, véritablement. Voilà. Merci ! L.B.
Ecrite par , le 23 Juillet 2007 à 07:07 dans la rubrique .
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