Bec, Christophe
		Bec, Christophe

Interview de Christophe Bec recueillie par Clark

Christophe Bec est né en 1969 à Rodez. Il est piqué très tôt par le virus de la BD, et fait lécole de bandes dessinées dAngoulême. Baignant dans une promotion extrêmement favorable, notre homme se fait les dents sur La bête du Gévaudan, désormais collector Cest en plein dans une activité ultra-chargée (sorties de Carthago, Pandemonium, adaptation manga de Sanctuaire) que Christophe Bec a eu la gentillesse de répondre à mes questions :

Clark : En ma qualité de fan de fantastique et de science fiction, je tai découvert il y a quelques années avec le coffret Sanctuaire Ce qui mavait frappé à lépoque, cétait cette impression davoir vu un film Depuis, sans vouloir tomber dans le « fayotage », je guette la moindre sortie estampillée Bec Alors dis moi, avec les Bunker, Pandémonium, Le Temps des Loups et autres Carthago, as-tu le temps de te consacrer à dautres projets ou peaufines tu plutôt les tomes 2 et suivants ?

Christophe Bec : Oui, bien sûr, j'ai pas mal d'autres projets en cours ou à venir. Mais il faut un peu re-situer les choses... Il y a un an pile, j'ai décidé de complètement arrêter le dessin, une décision difficile à prendre mais qui m'a libéré du temps et m'a permis de développer beaucoup de choses au niveau du scénario. Ainsi, j'ai terminé la série Carême et lancé des nouvelles séries aux Humanos en temps que scénariste : Carthago, Pandémonium et Le Temps des Loups, dont j'ai cédé le dessin au dessinateur Luca Raimondo.
J'avais dit à l'époque que deux choses me feraient revenir au dessin : si on me proposait quelque chose que je ne pourrais pas refuser ou si je n'avais pas le choix. La première solution s'est présentée plusieurs fois et notamment une proposition pour un album de la série XIII. Étant un grand fan de William Vance, c'était une incroyable opportunité et j'ai sérieusement réfléchi à la chose ; puis je me suis finalement désengagé, les délais étaient assez courts et c'était un boulot à 100% de mon temps, ça m'aurait demandé trop de sacrifices et j'étais engagé avec des auteurs et des éditeurs, je ne voulais pas les laisser tomber. Un temps j'ai cru devoir regretter cette décision puisque peu de temps après, j'apprenais que les Humanos étaient en grosses difficultés ; ce qui est toujours le cas, et là mon avenir était alors très incertain. Pas de série au dessin, les nouvelles séries au scénario étaient mises en danger, il ne me restait que Bunker chez Dupuis, mais où là aussi j'avais cédé le dessin à un dessinateur italien virtuose, Nicola Genzianella. Alors, j'ai dû réagir. J'étais dans la fameuse situation où je n'avais plus le choix, je devais absolument reprendre le dessin pour assurer la protection de ma famille.
Et là, mon premier éditeur, les éditions Soleil, m'ont offert tout un tas de possibilités, puisque j'ai signé chez eux une nouvelle série au scénario intitulée Ténèbres et qui va faire parler d'elle, le dessinateur est fabuleux, encore inconnu en France, mais quand l'album sera en librairie, ça va clairement changer. Également avec eux je développe un projet de concept-collection, sur lequel je ne peux encore rien dire, mais là je passe de l'autre côté, du côté de l'éditeur. Et évidemment, ça a été annoncé de façon officielle, j'ai signé chez Soleil une série au scénario et au dessin qui se nommera Prométhée. Ceci dit, ce n'est pas pour tout de suite, les éditions Soleil m'ont non seulement assuré une nouvelle stabilité financière, mais m'ont laissé un délai très large pour pouvoir réaliser cet album dans les meilleurs conditions.
Dans les choses à venir, j'ai écrit un one-shot pour ma collection, peut-être une nouvelle série chez Soleil au scénario qui est une pure éclate, une vraie série B pur jus, peut-être aussi un grand roman graphique de 100 pages chez Quadrant Solaire. Également, je travaille en ce moment avec Valérie Mangin sur la reprise au scénario d'un personnage célèbre ; alors là, c'est quelque chose sur lequel on ne nous attend pas du tout, et si ça se concrétise, ça va en étonner plus d'un. Mais nous, on est absolument fan de ce personnage et c'était une évidence. Je continue également ma collaboration avec Dupuis, puisque outre Bunker, j'y ai signé une nouvelle série avec le dessinateur Stefano Raffaele (avec qui je réalise Pandémonium), cette série s'intitulera Sarah et sera publiée dans la prestigieuse collection Repérages. J'ai également dans mes cartons un projet de préquelle de Sanctuaire, co-écrit avec Stéphane Betbeder, mon compère de Bunker, mais qui est pour l'instant bloqué à cause de la situation des Humanos. Et toujours co-écrit avec Betbeder, Deus avec Paolo Mottura, le dessinateur de Carême, la moitié de l'album est dessinée, mais là aussi, sa sortie dépendra de l'avenir des Humanos.

C : Dans quel ordre les tomes 2 sortiront-ils ?

CB : Très difficile à dire, la situation actuelle des Humanos fait que beaucoup de choses sont remises en cause, notamment au niveau des dates de sortie. Voire même des sorties tout court.
La seule chose à peu près sûre, c'est Bunker Tome 2 en fin d'année, probablement Novembre.
Pour le reste, peut-être Deus Tome 1 et Pandémonium Tome 2 en fin d'année 2007 ou premier semestre 2008.

C : Pandémonium ma forcé à me procurer le DVD The Shining de Kubrick, basé sur le fameux roman de Stephen King, et Carthago ma fait ressortir un roman que jai lu il y a presque dix ans sur le Megalodon Un bouquin de Steven Alten, tu connais ?

CB : Oui, Pandémonium est effectivement un récit qui a à voir avec le Shining de Kubrick surtout, j'ai également lu le roman, mais il m'a moins marqué que le film. Pandémonium est vraiment un des projets qui me tient le plus à coeur, et j'espère que l'on pourra avec Stefano aller au bout de cette série, d'autant que les ventes n'ont pas été extraordinaires, comme ça avait été le cas pour Carême ou Anna, c'est souvent mes albums les plus personnels qui se vendent le moins... Je me suis fait une raison, mais sur Pandémonium c'est dommage, surtout pour le dessinateur, mais en théorie il reste encore deux tomes, alors qui sait... Mais je tiens à dire que l'accueil critique sur le premier tome est fabuleux, là aussi tout comme Carême, c'est un album qui a frappé les gens, je pense que la raison en est que c'est fait avec une profonde sincérité et que la force des sujets abordés emporte tout, c'est au-delà d'une question de narration ou de technique de scénario. J'ai juste lu une critique idiote sur je ne sais plus quel site Internet où le chroniqueur (si on peut l'appeler comme ça) me reprochait de ne pas avoir été respectueux des enfants malades. Je crois juste que ce Monsieur a tout faux et que beaucoup de choses ont dû lui échapper, notamment la scène du journal autour des poignées de portes. Cette anecdote est véridique, j'ai correspondu avec des anciens malades du sanatorium, et c'est une dame qui m'a raconté cela, un souvenir de lorsqu'elle était enfant et malade, ça en disait long sur la façon dont ils étaient rejetés, pensez donc, être rejeté par sa propre mère parce qu'elle craint la contamination, ce doit être une des choses les plus dures à supporter au monde.
Carthago par contre fait un véritable carton, réimprimé au bout d'une semaine, et est à ce jour de tous mes albums celui qui est le mieux accueilli par les lecteurs, la presse et la profession. Alors effectivement, je connais les romans de Steven Alten, mais j'ai refusé de les lire, pour ne pas être influencé, je ne peux donc pas en parler, je sais qu'il y a un film en préparation... Je ne sais pas ce que ça vaut... J'ai tout de même lu quelques pages de Megalodon, ça m'a pas plus emballé que ça, j'ai pas trouvé ça très bien écrit, l'action est peut-être prenante... Je le lirai quand ma série sera bouclée ou j'irai voir le film à sa sortie. J'avais ce projet en tête bien avant que l'on me parle de ces romans, et il y a eu pas mal de réécritures sur Carthago, la version du présent album doit être la six ou septième. Je pense que ce gros travail a payé.

C : Nes tu pas tenté de fuir devant les dessins de Stefano Raffaele ? Il ne doit pas être net, pour dessiner des visages dinfirmières aussi sataniques (NB : Il faut avoir jeté un il sur Pandemonium tome 1 pour cette question !)...

CB : Justement, c'était le dessinateur idéal pour Pandémonium, j'avais remarqué cet aspect glauque dans le bon sens du terme qu'il y avait dans sa précédente série, Fragile. Lorsque mon directeur de collection aux Humanos, Philippe Hauri, m'a proposé de travailler avec lui, j'ai accepté dans la seconde. Stefano a un grand sens de la mise en scène, c'est un des rares dessinateurs a pouvoir dessiner du Fantastique, et ce qui ne gâche rien, il dessine extrêmement bien les femmes. Il n'est pas italien pour rien...

C : Sinon, là ou tu en as trop dit ou pas assez, selon la formule consacrée, cest sur Ténèbres Peux-tu men dire plus sur le scénario ?

CB : Il s'agit de ma première histoire d'Héroïc Fantasy. Je m'étais juré de ne jamais plus en refaire depuis Dragan, mon premier album avec Eric Corbeyran. Ce n'est pas que j'estime que c'est un genre où on ne peut plus rien faire de bon, mais il y a une telle surproduction dans ce domaine qu'il est difficile tout de même de se démarquer. Pourtant, cette envie est montée un jour d'écrire l'histoire d'HF que j'aurais aimé lire ado. Vous allez voir, c'est un concept très basique, mais pour moi l'HF doit être basique. Cependant, j'espère qu'il s'en dégagera de la force et que ce sera épique. Je tenais aussi absolument à revenir à des sentiments très premier degré, le second degré à gangrené le genre. Regardez Thorgal, c'était très premier degré au niveau des sentiments. Et surtout, comme je le disais plus haut, j'ai enfin trouvé un dessinateur assez flamboyant pour que cet album, d'emblée, soit dans le haut du panier.

C : Qui est ce dessinateur talentueux dont tu me parles pour Ténèbres ?

CB : Je ne peux pas révéler son nom, il est supposé ne pas avoir le droit de dessiner en France. Il signera sous pseudo.

C : Quel perso « célèbre » allez vous reprendre avec Valérie Mangin ? Cest peut-être encore top-secret

CB : Là non plus, je ne peux rien révéler. Non pas que je ne le veuille pas, mais c'est juste que comme ce n'est pas encore réellement signé, je ne préfère pas m'avancer. Mais les choses sont en très bonne voie. On doit se voir avec Valérie Mangin dans quelques jours pour finaliser le scénario.

C : Une autre petite question que je me pose en tant que fan de musique (peut-être plus que de BD) : quécoutes tu comme musique ?? Travailles-tu en musique comme cest le cas de nombreux auteurs ou préfères tu un silence glacial ?!

CB : J'écoute peu de musique en dessinant, j'écoute plutôt la radio. Tout de même un peu de musique classique. La musique actuelle m'ennuie au plus haut point. Oui, ça y est, je suis un vieux schnok !

C : Après Sanctuaire adapté récemment en manga, dautres de tes séries sont-elles prévues pour ce format ou était-ce une expérience qui ne se réitèrera pas ?

CB : Non, rien de prévu. Pourtant c'est vrai que Pandémonium ou Carthago pourraient aussi être adaptés, ça s'y prêterait bien ! A bon entendeur, s'il y a des volontaires... Mais pour l'instant, le manga Sanctuaire Reminded n'a pas trouvé son public. Je crois que les lecteurs de manga ne sont pas encore prêts à "bouffer" du "manga" européen. Ou plutôt je crois que c'est absurde d'essayer de lutter sur ce terrain-là. On ne les égalera pas en qualité, ou alors il faudra monter des vrais studios avec des grands auteurs à leur tête. Mais ce qui est fait actuellement, hormis une ou deux choses, ressemble plus à du fanzine avec une qualité très médiocre. Justement, pour lutter avec les mangas, le seul moyen pour nous, auteurs franco-belges, est d'aller vers une plus grande qualité, une plus grande exigence, vers des albums concepts plus luxueux. Sur le terrain du feuilleton bon marché, on est perdants d'avance.

C : Es tu fan de mangas en général ? En lis tu régulièrement ?

CB : Non, je ne suis pas un fan mais j'en lis, je me tiens un petit peu au courant. Je lis encore pas mal de BD, je suis tout ça de près. Ce qui m'a plu en manga c'est des choses comme Old Boy, Rainbow, Le Sommet des Dieux... J'ai acheté le tome 1 de Death Note, mais je ne l'ai pas encore lu...

C : Tu me donnes tes références en mangas, sans que ce support soit ton préféré Mais côté BD franco-belge, quas-tu particulièrement apprécié ces derniers mois ?

CB : Pas mal de choses, comme je le disais, je lis toujours beaucoup de BD : ces jours-ci, j'ai bien aimé Seuls, Les Marais du Temps, Le Janitor... Ma vraie claque ces derniers temps ce n'est pas vraiment du franco-belge, plutôt du comics, c'est Strangehaven de Gary Spencer Millidge. Mais mon duo favori actuellement c'est Mark Millar et Brian Hitch, là on a un scénariste d'une grande qualité et d'une grande intelligence, qui justement parvient à faire du mainstream intelligent, et de l'autre un dessinateur prodigieux. C'est étrange, car gamin ou ado, je n'ai jamais vraiment lu de comics, j'y suis venu dans les années 80 avec les Frank Miller et autres Alan Moore, et aujourd'hui c'est souvent outre-Atlantique ou outre-Manche que je trouve les choses qui me touchent le plus. D'ailleurs, lorsque l'on évoque mon travail, on le pense souvent très influencé par le comics, alors que je n'en lisais pas. Ce qui me rapproche du travail de certains auteurs américains doit tenir à autre chose.

C : Question subsidiaire dactualité : es-tu content du nouveau président de la République ?

CB : Ni l'un ni l'autre, je n'ai pas voté pour lui. Pour moi dans cette campagne, on n'a pas assez parlé d'écologie, j'aurais aimé que Nicolas Hulot se présente. Je suis engagé dans pas mal de choses à ce niveau-là, certains qui se prétendent écolo me font marrer, l'écologie n'est pas un idéal, ce doit être du concret, la plupart des gens se revendiquent écolos mais ne font rien concrètement (à part trier leurs déchets, la belle jambe !). Pour ma part un bon pourcentage de mes revenus va directement à un certain nombre d'associations qui luttent sur le terrain, notamment je soutiens très fortement la protection des loups et des rapaces, il me paraît essentiel de protéger les grands prédateurs, au moins autant que les causes humanitaires, que je soutiens aussi par ailleurs, pour moi tout cela est lié. Cette élection m'a fait réfléchir, comme aucun des deux sortants ne me correspondait, pour la première fois de ma vie j'ai voté blanc, en contrepartie je vais m'engager encore plus dans ce que je crois important. Après, le clivage gauche/droite que je ressens actuellement (surtout dans le milieu artistique) me gonfle. L'idée que les gens de gauche sont cools et humains et les gens de droite sont cons et ne pensent qu'au fric est d'un manichéisme hallucinant. Evidemment, penser comme cela évite de se confronter à ses propres contradictions. Etre altermondialiste et vivre avec un mode de vie à l'occidentale (bagnole, TV, lecteur DVD, Playstation... ), être écolo et n'avoir qu'un discours écolo mais pas d'actes concrets, etc. Je ne crois plus aux idéologies, ce qui compte désormais, et en écologie plus que dans tout autre domaine, ce sont les actes.