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Dubois, Pierre

 
  Dubois, Pierre
 

Interview de Pierre Dubois recueillie par Hanako durant le salon Textes et Bulles de Damparis 2005

Hanako : Je suis allée sur Internet pour regarder les portraits que l'on trouve sur Pierre Dubois. Certains le traitent d'ogre, d'autres de fada, mais le plus joli à mes yeux, c'est Arnauld Malherbe qui le décrit comme un « conte à lui tout seul ». Alors, qui est Pierre Dubois ?

Créant, comme il le décrit si bien, de la « littérature bis », il s'est désigné un jour sous le titre «d'elficologue». Tant et si bien que ce qui n'était qu'une plaisanterie est devenue une véritable profession de foi pour lui et d'autres qui se promènent à cheval sur la frontière de l'autre monde. Cette féerie qu'il sait si bien écouter, laissant les murailles s'abolir et les barricades mystérieuses s'écrouler afin que le monde s'évanouisse jusqu'au lendemain, il la perd au réveil, lorsque les mots ne possèdent plus de magie et n'habitent plus ce corps ni cette main qui écrit.

Parfois, au gré de ses promenades en forêt, Pierre Dubois rencontre une créature qui le perçoit comme un ami, et non un danger. Et puis un geste, un son, et le miracle de l'instant se brise. Telle cette laie et ses petits qu'il a croisés, un jour, au détour d'une clairière.

Touché par la confiance du Petit Peuple, notre elficologue espère ne pas connaître un sort similaire à celui du révérend Kirk, foudroyé par le fameux Elfshot sur les collines d'Abbotsford au XVIIème siècle. C'est pourquoi, pour ne pas rompre le dialogue, Pierre Dubois, à travers ses textes, informe le lecteur que, parfois, il ment. Ne voulant rien briser, et préférant se placer du côté des elfes et des fées, il lui est arrivé, comme dans sa troisième encyclopédie, après les lutins et les fées, de reprendre une ancienne incantation qu'il a modifiée afin de protéger les elfes des hommes, et non le contraire.

Cet érudit passionné et passionnant a également écrit L'almanach du sorcier, point de départ de notre discussion.

Pierre Dubois : Oui, j'ai fait ça en télévision pendant des années. Je déteste les «journalisses» qui disent «voilà ce que vous devez retenir aujourd'hui de l'actualité, voilà ce que vous devez retenir de l'information.» Leur information, l'information d'une société qui n'est certainement pas la bonne, et je pense aux gens peut-être pas la presse écrite, car il y en a certain qui s'engagent et qui font des trucs bien mais le journaliste TV, le mannequin qu'on agite et qui nous fait croire qu'on vit une telle société. Au nom de quoi ? Je ne me sens pas du tout concerné par cette actualité. Je suis désolé, mais quand je vois ce qu'on fait faire aux enfants d'aujourd'hui. Déjà les mettre dans le système. Donc que vienne un chaman, un conteur, tous les matins leur raconter une histoire avec sa morale, avec comment se comporter vis-à-vis de la Nature, de l'Etre, oui. Mais dans l'almanach, pour moi, ce que je trouvais formidable, c'était la vie au rythme de la nature. Seule la nature a raison, et plus tu te rapproches de la nature, plus tu te rapproches de cette philosophie toute simple où tout est dit. Tu sais que le coucou ne chante pas cette année-là, cest très grave.

L'almanach, cest un peu la bible sauvage des anciens qui était donc une projection au jour le jour de ce qu'il fallait savoir sur la pluie, le vent, l'observation des nuages, des oiseaux, de ce qui fait le temps.

Tu vois, par exemple, les anciens, et bien ils te montrent le cosmos à travers les dieux, à travers les héros, à travers les dragons. Ils se créent une histoire fictionnelle et sage de la création du monde. Et chacun a la sienne, pratiquement. Mais, en même temps, ce'st universel quelque part. Que ce soient les papous, les zoulous, il y a toujours un principe masculin, un principe féminin, et après il y a toutes les traditions qui jouent. Ensuite, il y a la petite mythologie qui est la mythologie quotidienne : essayer d'expliquer ce qu'on ne connaît pas à travers des contes, des histoires.

Par exemple, il y a l'hirondelle. Elle symbolise le printemps et, effectivement, elle va chercher le tison du soleil. Elle le prend dans son bec et, en le gardant pour le ramener avec elle, elle se roussit le plastron. Cest pour ça que la gueule est rousse sous la gorge. C'est qu'elle a été grillée par le tison du soleil. Si elle zigzague, cest que tous les esprits de l'hiver, ceux de la mère Gagache et des tantes Esther, leurs espèces de crapoussins crapignotants, les dracs et les dragons les poursuivent. Nous on ne les voit pas, mais elle, elle les voit, et fait des zigzags pour éviter d'être attrapée. Une fois, l'une d'elles, la mère de toutes les hirondelles, a été attrapée par la queue ; elle a donné un coup de rein pour s'échapper, et la plume du milieu est restée entre les dents de son poursuivant. Cest très important dans la mesure où, si tu racontes ça aux enfants, ils verront l'hirondelle d'une façon différente. Aujourd'hui elles disparaissent, à cause des insecticides, et on commence quand même à s'émouvoir. Alors là on s'interroge : «Tiens, il n'y a plus d'hirondelles». Mais si on avait raconté l'histoire de cet oiseau à des générations d'enfants, au lieu de leur dire «plus il y aura d'insecticides, moins il y aura de ceci ou de cela» l'enfant aurait une vision de la nature sacralisée.

Alors que là, on désacralise la nature. Le langage des fées c'est : « Attention, si vous jetez des immondices dans l'eau des rivières, vous vous empoisonnerez, nous vous empoisonnerons. Si vous coupez tous les arbres où vivent les triades, les hamadryades, les nymphes, nous ferons pareil. Si vous construisez des usines à ski là où vivent les trolls, ils vont se secouer parce que ça va être trop lourd au bout d'un moment, et il y aura des avalanches. Si vous construisez trop près des fleuves, nous vous inonderons. J'aime bien cette espèce d'écologie, mais d'écologie de l'âme, aussi.

La mère est le trait d'union entre la fée, le monde et l'enfant. C'est le fatum, le destin, les trois Parques qui se penchent sur son berceau. L'une dévide le fil de la vie, la seconde le mesure et la troisième le coupe. Donc l'enfant, il est encore dans la lumière des fées, à quelque part. Tu n'as qu'à voir un enfant avec une araignée dans la main alors que, plus tard, il va avoir cette répugnance. Là, tu vas lui dire «regarde comme c'est doux», il ne va pas avoir de rejet si tu lui confirmes qu'il n'y a pas de problème. Tu lui mets un serpent et c'est pareil. Il n'est pas raciste non plus, il sait chanter, danser, il peut faire du théâtre, il comprend la poésie, il croit aux fées, au Père Noël, il les voit même. Il a cette espèce de grâce que les instituteurs, que les maîtresses, pendant un bout de temps d'ailleurs, vont nourrir. Ils vont l'aider à croire à toutes ces choses-là, lui raconter des contes de fées, l'initier pendant un bout de temps.

Et après, terminé. Avec l'âge de raison, ils lui disent : «Tout ça, ça ne sert à rien, ce n'est pas vrai.» Et là, tu te rends compte, première blessure énorme. On laisse l'enfant comme ça, on lui coupe les ailes, on atrophie son imaginaire. Et tu as donc plus tard ce garçon, cette fille qui devient maman, et son enfant lui demande : «Dessine-moi un chat, dessine-moi un mouton.» Et ce père ou cette mère vont dessiner le mouton tel qu'ils ont arrêté de le dessiner du jour au lendemain où on leur a dit que le dessin, ça ne servait à rien. «Tu peux le prendre en option pour ton bac, la musique aussi, tu peux la prendre en option pour ton bac, mais ça ne sert à rien. Et ton imaginaire, il ne sert pas à grand chose.» J'avais des devoirs quand j'étais enfant. J'avais des rédactions et là, mon professeur indiquait « trop d'imagination ». Mais c'est incroyable ! L'éducation me rappelle le jardin à la française par rapport à l'anglais ; on cherche à dompter la nature.

Ecoute, quand tu lis dans la bible « Les animaux, assujettissez-les, la nature, assujettissez-là. » Assujettir la nature ? Mais quelle prétention, quelle horreur ! Alors que chez les amérindiens, par exemple, c'était l'inverse, la Terre Mère et tout cela. Tout ça c'est féminin. Regarde dans les contes, cest la femme qui fait alliance avec la connaissance, le serpent. L'église va transformer le serpent, le sataniser, et de fée, elle va passer à sorcière, comme ça on pourra la brûler, c'est incroyable. Regarde, même chez les héroïnes du cycle arthurien, repris par Chrétien de Troyes, où Morgane devient une sorcière plus qu'une fée, alors que la reine Guenièvre devient une « cochonne ». Ou alors on ridiculise les fées, comme au XVIIème siècle. On a satanisé la nature et le grand dieu Pan est devenu le diable.

Dans les contes, le héros n'a accès au trône que par les femmes. C'est parce qu'il épouse la fille du roi qu'il va devenir roi. Mais nous, nous avons tout perverti, et nous continuons encore. Heureusement, maintenant, il y a des écrivains femmes, comme dans les Brumes d'Avalon, par exemple on aime ou on n'aime pas, c'est quand même un peu américain mais elle a repris le thème tel qu'il était au départ, celui de redonner une importance à la femme. Je disais d'ailleurs à Claudine Blot, qui s'occupe du centre imaginaire arthurien : «Heureusement qu'elles ont aidé Arthur et que, lorsqu'il meurt, elles viennent le rechercher pour passer de l'autre côté. » Cest Morgane qui vient lui redonner la vie.

Voilà, l'almanach c'est ça, c'est aujourd'hui : s'occuper de la magie du jour, de l'essentiel, voir ce qui est à voir. Ce qui m'épate toujours, c'est la prétention. Tu lis un livre d'histoire ou des vieux journaux, tu apprends un événement ou la mort d'untel ou untel dont tu ne te souviens même plus. Par contre, moi j'attends chaque mois de mai d'entendre chanter le coucou. Et voilà l'essentiel, tu vois, c'est ces choses-là. On fait aujourd'hui des icônes de gens qui ne sont même pas des créateurs, des espèces d'images virtuelles, comme les politiques qui sont pour moi des pantins virtuels qui n'apportent rien. Certains pourraient l'amener, cet essentiel, mais il ne faudrait pas faire de politique pour ça. Pourquoi ne pas créer des conseils, des choses comme ça ?

J'ai connu les balbutiements du féminisme, et j'avais trouvé ça génial ; pour le premier opus, c'était «sorcières». Ça y est, me suis-je dit, elles ont mis le doigt dessus, elles reprennent leur vrai pouvoir. Mais, hélas, ça c'est délité. En fin de compte, on traite la femme comme la nature. En désacralisant sa représentation, on pourra mieux la soumettre et la détruire.

Il y a des instants dans la vie qui sont des moments de pur bonheur, des moments féeriques. La rencontre avec Pierre Dubois est un de ces instants magiques de mon existence. De cette interview, je conserve grâce à lui des images merveilleuses au fond de mon coeur et de mon âme. Mes yeux de petite fille sont toujours aussi brillants démotion qu'au jour de notre rencontre devant sa gentillesse et sa fabuleuse manière de vous emmener loin, très loin.

J'ai franchi les portes de mon imaginaire, j'ai parcouru le monde et j'ai obtenu la confirmation de certaines de mes convictions. J'aurais pu l'écouter jusqu'au bout de la nuit, sans m'apercevoir des heures écoulées.

Mais de ces choses entendues, mon enregistreur trop moderne n'en a pas retenu l'essentiel. Pierre ne devait pas être seul. A chaque fois qu'il parlait du Petit Peuple, mon appareil stoppait. Il est donc des vérités qu'il faut entendre, mais non écrire. Le message se transmettra oralement afin de conserver toute sa magie.

Ecrite par Hanako, le 13 Septembre 2005 à 10:09 dans la rubrique Interviews .
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