Solaris - Numéro 153
		Solaris Edition : Les Publications Bénévoles des Littératures de l'Imaginaire du Québec Inc. 2004, 144 pages 7,95 $

Pour son premier numéro de l'année 2005, Jean Pettigrew, éditeur de Solaris et des éditions Alire nous propose un numéro sur les Démons et Chimères, avec six nouvelles inédites toutes plus fantastiques les unes que les autres.

Le premier texte, de Richard D. Nolane, intitulé  Une tête de martyr nous emmène dans une plongée époustouflante dans un Moyen-Age original et baroque, où des nefs aériennes menaçantes, des Sylphes  vindicatifs et des goules dévoreuses peuplent la campagne parisienne. L'histoire se déroule dans et autour d'un monastère très proche de celui qu'Umberto Eco mous présente dans son Nom de la Rose, et la succession de meurtres qu'y s'y déroule, assassinats sur lesquels nos deux héros enquêtent, en parallèles avec des Inquisiteurs de l'Eglise de Cluny nous rapproche encore plus du roman bien connu. Mais sur cette trame classique, des évènements étranges viennent s'y accrocher, exorcismes réels, revenants et goules affamées de revanche sur les vivants, qui transforment cette enquête chrétienne en lutte contre le démon. La guerre semi-ouverte à laquelle l'abbé de Saint- Maxin, le moine défroqué Raedwald et les Chiens de Dieu de Cluny déchire les fondements de la religion afin de conserver la suprématie de leur foi tout en poursuivant le même but : préserver le monde de l'Antéchrist ! Une fin amère et cynique laisse présager de l'évolution de cette uchronie qui ne peut que nous rappeler notre rapport actuel à la religion.

Le second texte, L'envol des chimères, d'Amélith Deslandes, nous plonge dans les pensées, espoirs et désirs d'Ephèdes, écrivain souffrant de narcolepsie qui fantasme sur sa compagne Moïra, femme douce et adorable. Mais pourquoi diable, après avoir plongé dans un sommeil impromptu, Ephèdes se réveille-t-il dans une pièce sordide et puante, ligoté et soumis à la loi d'une femme vicieuse et aigrie. A chaque réveil, l'écrivain retrouve son univers radieux et heureux, mais ce n'est que pour sombrer à nouveau dans son cauchemar de souffrance et d'horreur. Il ne s'agit pas là de l'histoire des terreurs d'un homme, ni de ses fantasmes de bonheur. Il s'agit plutôt là de la folie grandissante d'un homme dont le réel et les rêves se mêlent peu à peu, dont la maladie envahit la vie au quotidien et détruit son univers... jusqu'à sa conclusion bouleversante et sordide. Une merveille d'angoisse et d'horreur !

La Boite de Pandore, de Caroline Leblond, premier texte de cette jeune auteure prometteuse relâte quelques instants d'une petite fille. Une fillette solitaire et presque muette de solitude, une enfant sensible et ignorée des adultes, tapie dans les recoins d'un espace envahi d'étrangers. Et tous portent une valise, une malette close sur des objets mystérieux qu'elle aimerait bien découvrir.... Un texte relativement court, mais empreint de poésie, de la douleur d'être rejetée et seule, de la folie qui peut s'emparer de quelqu'un que nul ne connait ni ne reconnaît. Mais cette enfant si étrange et triste... existe-t-elle réellement ? Et d'ailleurs, existons-nous, aussi ?

Le quatrième texte Voyage et Rêve, de Pierre-Luc Lafrance nous conte les errances au pays des rêves d'un voyageur nocturne. Toutes les soirs, Talas sendort pour retrouver les mêmes chemins quil connaît par cur jusquà ce quun moment, un sentier nouveau lentraîne dans un royaume inconnu où tous lui font fête et lacclament au cours dune nuit de réjouissances. Mais la nuit sachève et Talas doit repartir, laissant ses nouveaux amis à leurs célébrations. Que va-t-il se passer lorsquil reviendra ? Comment laccueilleront ses amis et surtout, que se passe-t-il dans ce pays étrange une fois le jour levé ? Quelles relations peuvent avoir un rêveur avec les êtres vivant dans son esprit ? Voila ce que le lecteur émerveillé découvrira pour un épilogue bien inattendu !

Lauteur suivant, Jess Kaan, maître incontesté des terreurs innommables nous raconte ensuite, dans Toute la peine du Monde, létrange épisode de la vie dune adolescente « à problèmes ». Vélrie, jeune fille dépressive et hantée par son passé, consulte un médecin pour se débarrasser des hantises et des souvenirs refoulés qui la perturbent. Dix-huit ans après, elle nous raconte les liens qui se sont noués entre elle et son praticien, homme bienveillant et compréhensif, qui lui semble devenir peu à peu le support de son existence et laide à faire face aux démon, humains, qui lont traumatisée. Mais le docteur change au fil du temps. Il semble prendre sur lui la peine de ladolescente et se transforme peu à peu en quelquun dautre, quelquun qui souffre Que se passe-t-il ? Valérie ne le sait pas. Nous non plus, dailleurs, mais le but nest pas là, et nous ne pouvons quobserver, impuissants, la déchéance qui sempare progressivement dun homme dévoué corps et âme à soulager les autres. La pitié peut-elle être une malédiction ? Peut-on littéralement absorber la douleur ? Mais la question qui se pose réellement, est plutôt : qui le souhaiterait ? Une nouvelle bouleversante et magistrale, où chacun peut retrouver des fragments de sa propre vie, des regrets et, peut-être, des espoirs pour son futur

Suivent après ces textes superbes une interview et une nouvelle de Jean Pettigrew, fondateur et magicien de Solaris et des éditions Alire, dont le discours, très orienté sur linnovation et la promotion des littératures de lImaginaire ne pourra que réjouir les amateurs du genre. Qualité et passionnement semblent être les maîtres mots de sa doctrine et les éléments quil nous livre de son passé et de son parcours permettent sans nul doute sappréhender comment un architecte physicien sest ainsi transformé en pionnier du fantastique et écrivain fervent.

Sa nouvelle, Lanimalerie de lîle Bisque est aussi étrange que son titre le laisse prévoir. Un huis clos dans lun des derniers phares habité. Un écrivain, logeant chez ce vieux couple presque reclus, y admire depuis des années la collection danimaux empaillés quils ont trouvé dans les lieux en y emménageant et quils conservent avec amour. Mais ces animaux, tous sauvage et exotiques, ne sont pas ce quils semblent être, et peu à peu, le mystère va sépaissir dans une accélération effrénée qui laisse les trois protagonistes stupéfaits et effarés. Lapparition dun nouvel animal, puis dautres, puis..

Je nen dirais pas plus, mais cette nouvelle, ôde également à ces anciens gardiens de phare confrontés à une solitude totale et aux éléments incontrôlables, constitue surtout un hommage aux animaux et à la nature changeante et évolutive. Langoisse de linconnu, la peur de lhomme devant un univers quil ne maîtrise pas, mais également devant sa beauté supérieure y sont exprimés, tout comme la quête de lapaisement, pour ne pas dire du bonheur

Pour clore ce Solaris,  un article de Mario Tessier, Immortalité et Science-Fiction nous dévoile les progrès de la science destinés à ralentir, voire à supprimer ce concept que la plupart des hommes nenvisagent quavec crainte : la mort.  Le sujet y est développé dans une brève histoire du thème de limmortalité dans la littérature du XIXème siècle, puis la manière, parfois négative, dont elle est évoquée dans les romans plus contemporains. Lévoluation du sujet permet également à Mario Tessier daborder les thèmes voisins de la cryogénie et de la procréation. Une article décalé, dérangeant et parfois même inquiétant !