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Ferrand, Cédric

 
  Ferrand, Cédric
 

Se mettre dans la peau d'urgentistes russes opérant de jour comme de nuit dans un Moscou décadent, voici ce que propose Sovok, le nouveau contexte de jeu de la gamme EWS. Coup de projecteur sur Cédric Ferrand, auteur d'un jeu d'anticipation atypique, entre Mad Max et A tombeau ouvert.

Bibirox : Bonjour Cédric et tout dabord merci d'accorder aux Chroniques de l'Imaginaire un peu de ton temps pour cette interview.

Cédric Ferrand : C'est la moindre des choses, répondre à une entrevue comme Pierre Bordage ou Mathieu Gaborit, ça ne se refuse pas.

B : Une petite présentation en guise d'apéritif ?

CF : Je suis rôliste depuis l'âge de quinze ans. Je suis assistant de direction de formation, mais les hasards de la vie m'ont poussé à être aussi bien chauffeur-livreur dans le monde de la boucherie que pion dans un lycée professionnel. Depuis toujours j'avais entendu dire qu'écrire pour le jeu de rôles était une douce utopie, je suis donc venu à l'écriture sans arrières pensées, presque par hasard. J'ai édité via le monde associatif un petit JdR apéritif qui se nommait Soap pour mettre en scène ces interminables séries télévisées qui fascinent la ménagère de moins de 50 ans. J'ai envoyé un exemplaire de Soap à Patrice Larcenet pour le remercier d'avoir sorti le mythique Raôul avec son frère Manu, qui m'avait servi de modèle pour écrire mon propre jeu. J'ai eu la surprise de recevoir une réponse de Patrice et de régulièrement correspondre avec lui depuis. J'ai même écrit un petit supplément numérique pour Raoûl pour me moquer de la Savoie, la région où je vivais à l'époque.

Ces premiers succès d'estime m'ont permis de me faire inviter dans différentes conventions de JdR et de me faire abusivement passer pour un auteur à part entière. J'ai alors rencontré différents acteurs du milieu, en particulier Julien Blondel, qui m'a mis le pied à l'étrier pour que j'écrive sérieusement pour l'industrie du jeu à travers son jeu Vermine. C'est également à cette époque que Philippe Fenot, avec qui je travaillais sur le Grog, m'a fait rejoindre la rédaction du magazine Casus Belli, auquel je participe depuis un an maintenant. Toujours à la recherche de nouvelles opportunités d'écriture, j'ai été mis en contact avec Extraordinary Worlds Studio, qui cherchait un univers de jeu original pour se lancer sur le marché du PDF en France, une niche jusqu'alors peu explorée. C'est ainsi qu'est né Sovok, mon petit dernier.

En dehors du jeu de rôles, je suis un adepte du théâtre d'improvisation amateur, une activité qui partage beaucoup de points communs avec notre hobby. Il y a un mois, j'ai immigré à Montréal, non pas pour faire comme Maurice Dantec, mais pour suivre ma blonde à la conquête d'un nouveau monde.

B : On imagine très bien Sovok en roman. D'où vient ta préférence pour la forme « jeu de rôle » ? Cela est-il lié à l'idée de savoir qu'il sera interprété de multiples manières, comme une même pièce de théâtre peut être très différente, selon le metteur en scène qui la réalise ?

CF : C'est le jeu de rôles qui m'a poussé à la lecture et à la création d'univers ou de scénarios. Cest donc très naturellement que mon premier instinct de créatif m'a poussé à m'exprimer via le JdR. Toutefois, Sovok a été rédigé pour que le lecteur soit immergé dans l'univers de jeu à travers des citations fictives et des détails sur le quotidien de la vie moscovite hantée par le spectre du communisme. Je souhaitais donner à la lecture de Sovok un aspect vivant pour m'éloigner au maximum d'une description très technique et sans âme. C'est pourquoi j'ai inséré trois nouvelles afin de montrer au lecteur ce qu'il était possible de raconter comme histoire tout en donnant un rythme au livre. Je souhaitais faire de Sovok un univers de roman, mais je ne me sentais pas prêt pour l'écrire directement sous une forme purement narrative. L'écriture sous la forme d'un JdR m'a permis de faire le tour du sujet, de donner du relief à mon univers et de me rendre compte que c'était bel et bien un monde fait pour être raconté à travers une grosse nouvelle ou un roman. Le JdR a été en quelque sorte un moyen de faire mûrir Sovok et de me donner confiance en moi pour passer à l'étape supérieure en matière d'écriture.

Le JdR, encore plus que le roman, dépossède son auteur de sa création. Les rôlistes, non contents de s'approprier l'univers, créent de nouveaux personnages, de nouveaux scénarios et font subir bien des adaptations à ce monde imaginaire. Du coup, à partir d'un livre commun naissent un grand nombre d'univers parallèles, des variations sur un même thème. C'est assez grisant de lire une nouvelle écrite par un lecteur qui a aimé ton univers et qui a été inspiré à son tour pour inventer une histoire. Les rôlistes changent aussi bien la mise en scène que les protagonistes et l'intrigue. Du coup il n'existe pas deux tables identiques, même si elles s'appuient toutes sur le même texte d'origine. C'est également la même chose au théâtre d'improvisation : chaque impro est unique, avec un dialogue propre à chacune, des rôles différents et des histoires jamais les mêmes. Cette magie de l'éphémère et de la réappropriation de l'univers par les acteurs est ce qui me séduit autant sur scène que dans le JdR. Après tout, l'improvisation théâtrale est une sorte de JdR sans dé.

B : Jouer des urgentistes est une idée vraiment originale. Penses-tu qu'elle influera sur la manière de constituer des scénarios ?

CF : Comme je l'explique au lecteur dans Sovok, l'intervention médicale en elle-même a peu d'intérêt, si ce n'est d'amener autour de la table une tension dramatique (va-t-on arriver à sauver la victime ?) et un enjeu humain. Ce qui fait la force de l'ambiance de Sovok, ce sont les circonstances qui entourent l'intervention. Devoir procéder à un massage cardiaque au cours dun conseil des ministres ou sur un assassin pendant un braquage est techniquement la même chose, mais socialement et psychologiquement, ce sont deux enjeux totalement différents. C'est cette dimension morale qui, à mon sens, fait le sel du jeu. Même si les personnages sont directement impliqués dans un conflit corporatiste à travers la concurrence, leur quotidien ne tourne pas vers le profit ou la quête de la puissance, mais vers la joie simple de faire leur maximum pour améliorer le monde dans lequel ils évoluent. Paradoxalement, les personnages ne sont pas des anges et doivent par moment faire des choix relativement amoraux pour survivre. C'est cette alternance de clair et d'obscur qui fait le charme de cette ambiguïté déontologique : en quelques minutes les personnages doivent décider de la vie ou de la mort d'un être sur la base de quelques présomptions ou en fonction de données médicales. Ces choix éthiques sont enrobés dans une ambiance urgentiste qui changeront nécessairement les habitudes des joueurs, rarement confrontés à ce genre de décisions dans le JdR traditionnel.

B : Pourquoi la Russie constitue-t-elle pour toi une source d'inspiration féconde ? Y as-tu des attaches personnelles ?

CF : L'utopie communiste et les dérives staliniennes constituent chez moi des thèmes récurrents. La majeure partie des théories socialistes titille le doux rêveur égalitaire que je suis mais les atrocités qui ont été commises au nom de ces principes sont évidemment un frein constant à mon goût pour le communisme. C'est une sorte d'attirance répulsion somme toute classique. La situation actuelle de la Russie est paradoxale sur bien des points : elle oscille entre le nationalisme et le retour à l'ancien régime. Cette polarisation donne un pays étrange à la population déboussolée à la fois déçue par le communisme et l'économie de marché. La chute d'un empire est une chose impressionnante qui ne peut que marquer les pensées de gens comme moi qui ont vu à la télévision tomber le mur de Berlin et l'exécution des époux Ceausescu la même année.

En dehors d'un lien d'amitié avec une famille descendant d'immigrés russes qui continuent leur activisme syndical et communiste, je n'ai aucun lien particulier avec la Russie ou le communisme. Je n'ai même jamais mis les pieds dans les pays de l'est.

B : Quelles ont été tes sources principales d'inspiration ? Tarkovski, Norman Spinrad ? Marx ?

CF : Même si je garde un souvenir intense du visionnage de Stalker, j'avoue ne pas être un grand amateur de littérature ou de cinéma russes. Ma principale source d'inspiration a été le roman Ressusciter les morts de Joe Connelly, qui a été porté à l'écran par Martin Scorsese sous le nom A tombeau ouvert. C'est un ouvrage qui m'a beaucoup parlé et qui m'a donné envie de m'intéresser au monde urgentiste. Ensuite, comme beaucoup de monde j'ai été nourri pendant des années par des épisodes de la série télévisée Urgences, qui m'ont initié au vocabulaire médical et aux scénarios hospitaliers. Etrangement ce sont des oeuvres américaines qui ont été à l'origine de Sovok. Mais comme presque toutes les oeuvres du mouvement cyberpunk mettent en scène un décor américain, je me suis rapidement interdit tacitement de situer les aventures de mes urgentistes aux USA. J'ai croisé deux pôles d'intérêt et les ambulanciers sont devenus des moscovites qui parcourent les rues de 2025 à bord d'un véhicule antigrav vétuste. Le travail graphique d'Enki Bilal a également été d'une grande influence pour moi, en particulier un album comme La partie de chasse et sa série actuelle (Le sommeil du monstre et Le 32 décembre). Le cinéma d'Emir Kusturica a eu un effet non négligeable sur ma vision de la mafia russe et sur l'ambiance musicale de Sovok.

Mais la plus grosse source d'inspiration a été sans nul doute les journaux télévisés qui racontaient l'émergence d'une vague orange en Ukraine et l'incroyable histoire de Viktor Iouchtchenko, qui a survécu à une intoxication à la dioxine. Ces drôles délections ont débuté alors que j'avais bien entamé la rédaction de Sovok et ont très largement inspiré la campagne qui bouleverse Moscou et plongent les personnages au coeur d'une révolution.

B : Ne t'es-tu pas senti écrasé par le poids de toute l'histoire de la Russie, quand tu as écrit le background de Sovok ?

CF : Non, car mon but n'était pas de faire une rétrospective du parcours russe mais d'imaginer un avenir probable pour Moscou. J'ai donc pioché des éléments dans le passé du pays pour les réinjecter dans Sovok, mais j'ai délibérément écarté certains thèmes qui ne m'intéressaient pas ou qui étaient trop complexes à utiliser en jeu. Mon but n'était pas de porter un jugement sur le communisme mais d'imaginer son retour fracassant dans un futur proche. Je ne traite pas des purges politiques, de la paranoïa qu'imposent les services secrets sur la population, des départs pour le goulag, des déportations massives, non pas pour en nier l'existence, mais par manque de place. Sovok n'a pas de message politique à faire passer : il décrit une situation politique pour en faire un cadre de jeu dynamique, sans faire l'apologie d'un système ou d'un autre. Mais il est impossible d'écrire sur la Russie sans ignorer les drames qu'elle a connus ou provoqué, c'est indéniable.

B : De nombreuses citations d'écrivains et de penseurs viennent illustrer les chapitres de Sovok. Faut-il en déduire que la Russie ne peut plus aujourd'hui, se comprendre autrement que dans les textes ?

CF : Pour quelqu'un comme moi qui est externe à la Russie et à ses problèmes intimes, toutes les informations qui concernent le pays sont à prendre avec des pincettes. La propagande anti ou pro communiste a été très active et continue de marquer les esprits. Je me suis donc forgé une image mentale de la Russie à travers des lectures diverses, en piochant ça et là des graines prometteuses pour une lecture ludique de Moscou. J'ai essayé de retranscrire la diversité des points de vue en citant plusieurs auteurs ou penseurs russes afin de montrer les différentes facettes du pays. La Russie est un pays idéologique, il m'apparaît donc normal de le montrer à travers ces nombreuses citations.

B : As-tu des projets dans l'avenir ?

CF : Oui, je compte bien faire vivre Sovok sous une forme complémentaire au JdR. J'hésite entre le roman et la BD, et j'essaye en ce moment même de trouver le média le plus efficace pour continuer l'aventure. Je continue d'écrire pour différents jeux ou éditeurs car j'aime bien me frotter à des univers variés. Je collabore avec Philippe Fenot avec beaucoup de plaisir et nous avons plusieurs projets rôlistiques en cours. Nous animons un blog qui explique plus en détails nos productions et nos travaux du moment => http://www.hu-mu.com.

Maintenant que je suis à Montréal, j'ai rejoint le Studio Mammouth qui a pour ambition de produire des JdR en français et en anglais. Nous publions notre premier univers au format PDF ce mois-ci et il a pour nom Réalités 2015. Nous avons de nombreux projets pour les mois à venir, en particulier Hex, un jeu qui permettra de jouer dans le Paris de l'année 1890, entre Raison et Superstition. Je suis également très intéressé par les liens qui unissent le Québec et la France, je suis donc en train de réfléchir à un jeu prenant pour cadre la colonisation de l'Amérique du nord. => http://www.studiomammouth.com.

Ecrite par Bibirox, le 05 Avril 2005 à 11:04 dans la rubrique Interviews .
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